Et la France arrêtait de se bercer d’illusions avec ITER ou les EPR2 pour se concentrer sur ce projet nettement moins ambitieux mais prometteur d’AMR

Date:

Partager:

Newcleo et Nextchem misent sur un mini-réacteur au plomb pour électrifier l’Europe.

C’est une alliance franco-italienne un peu discrète mais potentiellement décisive. Le 19 juin 2025, deux entreprises, Newcleo et Nextchem, ont signé un accord pour concevoir une centrale nucléaire… pas comme les autres. Moins encombrante qu’un stade de foot, refroidie non pas à l’eau mais au plomb, capable d’utiliser du plutonium comme carburant. Un pari technologique ? Oui. Mais pas une lubie de laboratoire.

Lire aussi :

Newcleo se rapproche de Nextchem pour le futur réacteur nucléaire modulaire LFR-AS-200

Un réacteur nucléaire qui tient dans l’équivalent de deux gymnases et qui produit l’électricité nécessaire à une ville de 150 000 habitants ? C’est exactement ce que promet Newcleo avec son LFR-AS-200 : un réacteur modulaire de 200 mégawatts, à refroidissement au plomb liquide, une technologie encore balbutiante mais qui promet beaucoup !

Le principe ? On fait circuler du plomb chauffé à très haute température pour transférer la chaleur du cœur du réacteur vers une turbine. Pas de vapeur sous pression, donc moins de risques d’explosion en cas de pépin. Le plomb ne bout qu’à 1749 °C, autant dire qu’il reste calme en toutes circonstances.

Et surtout, ce réacteur est conçu pour fonctionner avec du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium recyclé. L’objectif est clair : réutiliser les déchets nucléaires existants au lieu d’en produire de nouveaux. On est donc dans une logique de boucle fermée, un peu comme quand on fait des chaussettes avec des bouteilles plastiques, mais à l’échelle atomique.

Ce géant français de l’aviation teste avec succès ce moteur révolutionnaire qui pourrait lui rapporter 183 milliards d’euros d’ici 2043

AMR, SMR… Kesaco ?

Avant d’aller plus loin, un petit détour s’impose. Car dans le monde du nucléaire nouvelle génération, on croise deux acronymes un peu jumeaux mais bien distincts : SMR et AMR.

  • SMR, pour Small Modular Reactor, désigne un réacteur de petite puissance, généralement inférieure à 300 mégawatts, fabriqué en usine, en modules préfabriqués, puis assemblé sur site. L’idée, c’est de réduire les coûts et les délais, un peu comme un meuble suédois… mais en version radioactive. Exemple ? Le NuScale VOYGR américain ou le Rolls-Royce SMR britannique.
  • AMR, pour Advanced Modular Reactor, est une sous-catégorie des SMR, mais avec une particularité : ces réacteurs utilisent des technologies différentes de l’eau pressurisée classique. Cela peut être du plomb, du sel fondu, du gaz ou des réacteurs rapides à neutrons. Ils offrent souvent de meilleures performances thermiques, peuvent utiliser des combustibles recyclés, et permettent une cogénération (électricité + chaleur industrielle). Exemple ? Le LFR-AS-200 de Newcleo ou le Moltex Energy Stable Salt Reactor au Canada.

Donc, pour simplifier :

  • Tous les AMR sont des SMR,
  • Mais tous les SMR ne sont pas des AMR.

Newcleo, avec son réacteur rapide au plomb, se situe clairement dans la catégorie des AMR : c’est compact, modulaire, mais surtout radicalement différent de ce qui se fait aujourd’hui dans les centrales classiques.

Nextchem, l’industriel qui muscle le projet

Du côté italien, c’est Nextchem, filiale du groupe Maire, qui entre dans la danse. Le deal est simple : créer une coentreprise appelée NextCleo, détenue à 60 % par Nextchem et 40 % par Newcleo. Et en bonus, Nextchem obtient 1,25 % du capital de Newcleo, avec la promesse de monter à 5 % si les étapes du projet sont franchies.

Concrètement, Nextchem ne va pas tripoter les neutrons : son rôle est de concevoir l’îlot conventionnel de la centrale (tout ce qui ne touche pas directement au cœur nucléaire). On parle ici de turbines, d’alternateurs, de systèmes de refroidissement secondaires… Bref, tout ce qui transforme la chaleur du réacteur en mégawatts.

NextCleo aura aussi pour mission d’intégrer les projets, de coordonner les étapes industrielles et, à terme, d’aider d’autres développeurs de réacteurs compacts à industrialiser leurs idées. Un peu comme un sous-traitant nucléaire premium.

Un calendrier ambitieux… mais pas irréaliste

Parlons un peu planning :

  • 2026 : construction en Italie d’un prototype non nucléaire pour tester l’infrastructure (sans uranium, donc sans radioactivité)
  • 2029 : décision finale d’investissement pour la première vraie centrale
  • 2031 : mise en service du premier réacteur nucléaire en France

Ce calendrier peut sembler ambitieux, mais il s’appuie sur un avantage non négligeable : la réutilisation des sites déjà nucléarisés. Exemple : À Nogent-sur-Seine, Newcleo prépare une usine pilote de fabrication de MOX, installée à proximité de la centrale existante. Moins de béton à couler, moins d’autorisation à décrocher. Malin !

Du plomb, du plutonium… et de la Slovaquie

Le projet, loin d’être une affaire franco-italienne trouve preneur dans toute l’Europe. Newcleo a déjà signé un accord avec Javys, l’opérateur slovaque de gestion des déchets nucléaires. Objectif : installer jusqu’à quatre LFR-AS-200 sur le site nucléaire de Bohunice.

Ce partenariat permettrait de réutiliser une infrastructure existante, avec un réseau électrique déjà prêt. Et en bonus, un renfort de l’indépendance énergétique de l’Europe centrale, qui reste aujourd’hui encore trop dépendante du gaz russe.

Petit rappel utile : la Slovaquie, comme la République tchèque ou la Hongrie, produit déjà plus de 50 % de son électricité grâce au nucléaire. Ces pays voient donc d’un bon œil ce genre de projets, tant qu’ils sont sûrs et bien encadrés.

Vue en coupe de la conception du réacteur de Newcleo (Image : Newcleo)
Vue en coupe de la conception du réacteur de Newcleo (Image : Newcleo)

Une gouvernance peaufinée à l’atome près

Côté gouvernance, Newcleo ne fait pas les choses à moitié. Son fondateur, Stefano Buono, a décidé de céder la présidence du groupe à Andrea Ruben Levi, tout en conservant la direction opérationnelle.

Ce changement peut sembler technique, mais il reflète en fait une volonté de rendre l’entreprise plus lisible, plus “investisseur-friendly”, et peut-être de préparer une entrée en Bourse dans les prochaines années. Car soyons clairs : pour passer du prototype à la série, il va falloir des centaines de millions d’euros, voire plusieurs milliards.

Des défis techniques à ne pas sous-estimer

Alors, tout est rose ? Pas tout à fait.

D’un point de vue scientifique, le plomb liquide, s’il présente des avantages thermiques, est un fluide corrosif qui attaque certains métaux. Il faudra donc des alliages très spécifiques et une maintenance rigoureuse. De plus, en cas de fuite, le plomb devient radioactif s’il a été exposé au cœur du réacteur.

Quant au MOX, il n’est pas non plus un combustible anodin. Sa fabrication nécessite des procédures de sécurité renforcées, car il contient du plutonium, un matériau sensible sur les plans politique et stratégique.

Enfin dernier facteur : le coût. Un réacteur de 200 mégawatts comme celui de Newcleo, même compact, n’est pas bon marché. On estime son prix autour de 900 millions à 1,3 milliard d’euros, contre environ 13 à 15 milliards pour un EPR. Moins cher donc, mais pas encore accessible à toutes les poches.

Extraction du lithium en France et en Europe : ce que révèle une nouvelle étude sur les gisements exploitables

Un projet moins grandiose au service des ambitions françaises ?

Alors forcément, pour finir cet article une question se pose. En France, on consacre des milliards d’euros à des projets gigantesques comme ITER (actuellement 25 milliards d’euros même si partagés avec les autres membres du projet), technologie certes très intéressante sur le papier mais qui reste encore dans le domaine de la recherche fondamentale sur le trèèèèèèès long terme, ou encore les EPR2, mastodontes nucléaires censés prendre la relève… Mais dont la facture ne cesse d’augmenter (estimé à 100 milliards d’euros pour les 6 premiers réacteurs par la Cour des comptes).

Et si, au lieu de tout miser sur des paris XXL, on pariait aussi, modestement mais concrètement, sur des acteurs plus agiles, comme Newcleo, capables de livrer en moins de dix ans un petit réacteur rapide, modulaire, refroidi au plomb et fonctionnant avec nos propres déchets nucléaires ?

Moins de spectacle, plus d’impact. Après tout, ce n’est pas la taille qui compte, c’est ce qu’on en fait.

Source : Communiqué de presse de Newcleo

Image : Réacteur de Newcleo (vue en coupe) devant la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine

Notre site est un média approuvé par Google Actualité.

Ajoutez Media24.fr dans votre liste de favoris pour ne manquer aucune news !

Nous rejoindre en un clic
Suivre-Media24.fr

Guillaume AIGRON
Guillaume AIGRON
Très curieux et tourné vers l'économie, la science et les nouvelles technologies, (particulièrement ce qui touche à l'énergie et les entreprises françaises) je vous propose de de découvrir les dernières actualités autour de cette passion

7 Commentaires

  1. Confiner du plomb liquide à 1800 degrés. Y a rien de plus polluant. ☹️ Ceux qui ont pensé ça sont inconscients. Recycler les déchets nucléaires y avait une machine de prévue mais ça fait 40ans que le projet est abandonné.

  2. La filière réacteur à neutron rapide sels liquides fluorés permet de ‘bruler’ tous les déchets de la filière uranium y compris U238.
    Le Thorium est son ‘carburant’.
    C’est démontré depuis les années 60 et devait fonctionner en tandem avec la filière uranium militaire.
    Les chinois vont semble-t-il la commercialiser en 2030

    • Du rêve a la realite il y n y a qu un pas …. De géant.
      Dans compter nos politiques qui on détruit la machine bien rodée 1000 mw …
      Il y a longtemps qu on devrait tourner avec des surgenerateur.
      Mais l europe extraliberal voulait avant tout la peau d EDF c
      Et contraindre la France dans son succès
      Fou vivi le gaz russe distribué par les allemands.
      Il faut en priorité et urgemment se concentrer le plus seul possible sur ce qui est
      Éprouvé afin de reconquérir le plus d indépendanve.
      Je vois plutôt les chinois nous faire notre parc a venir….
      Ils sont passés maîtres en la matière ont une expérience collective et nationale démontrer avec 20 chantiers en cours.
      ASTRID ce devrait être
      Immédiat… La encore on est à la ramasse, politiUement et techniquement.
      Cela risque de finir dans la formation massive de militaires…a force de se tirer des balles dans le pied

  3. Je vois que les illusions autour de l’atome continuent à bercer des esprits toujours amputés de leurs yeux…. Qui ne voient les pragmatiques renouvelables variables que pour critiquer….. Ce qu’ils ne sont justement pas.

  4. Jospin n’a jamais voulu signer le papier permettant le redémarrage de Phénix alors que ce surgénérateur fonctionnait. On était en avance mais la gauche ecolo en avait décidé autrement. Ces mecs devraient être en prison pour avoir mis la France en faillite.
    C’est de la haute trahison.

  5. Beau projet.

    Ce n’est ni plus ni moins qu’une légère évolution de super phoenix (Creys malville).

    Ce type d’installation a été réalisé en France par EDF et utilisait déjà les déchets des centrales nucléaires.

    Cet installation a été mise à l’arrêt dans les années 80 par nos politiciens écologiste idéaliste à savoir Dominique voinnet.
    Et la construction de plusieurs centrales de ce type a été tuée dans l’oeuf par ces mêmes personnes totalement déconnecté de la réalité des choses et de la nature.

    Elles a également mis fin au projet du canal Rhin/Rhône.

    Les centaines de millions d’euros injectés dans ces 2 projets ambitieux et finalement très écologique ont été perdu pour des idéologies phantasmagoriques.

    Il est très triste de constater que la France (EDF) avait 40 ans d’avance technologique et que par la bêtise de nos politiciens nous avons stoppé ces programmes qui aujourd’hui repartent portéd par des entreprises privées étrangères, soutenues elles par leur gouvernement.

    A méditer

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Articles connexes

La Norvège fait une annonce fracassante et revient au premier plan énergétique mondiale avec ce projet de centrale nucléaire flottante

La Norvège mise sur des réacteurs nucléaires flottants pour verdir son industrie Deux acteurs norvégiens, Norsk Kjernekraft (développeur de...

La Chine prépare un “monstre” de 3 000 tonnes de poussée et qui annonce une course à la Lune passionnante avec les États-Unis

La Chine teste les moteurs de son futur "monstre" lunaire. La Chine continue de donner des nouvelles de son...

Ce vieil Airbus A310 n’est pas “n’importe quel avion” ! La Chine tient à le restaurer pour symboliser l’anniversaire des 40 ans de...

Un Airbus et la Chine veulent restaurer le symbole de 40 ans de coopération. Il trône là, immobile, dans...

Les États-Unis rapprochent l’humanité de son rêve d’exploration des multivers avec cette invention qui en permettra une miniaturisation du LHC

Une puce pour sonder le multivers… et soigner le cancer. Dans un coin de laboratoire, une puce en silicium...