Un hydrogel imprimable qui respire, grandit et capture le CO₂ atmosphérique. Cela ne relève plus de la fiction, mais d’un développement bien réel né dans les laboratoires de l’ETH Zurich.
Le matériau conçu abrite des cyanobactéries. Ces micro-organismes photosynthétiques sont intégrés à un réseau polymère hydraté qui leur sert de milieu de vie. L’ensemble est structuré de manière à favoriser la diffusion de la lumière, du CO₂ et des nutriments, tout en maintenant l’activité biologique sur le long terme.
Deux mécanismes de captation du carbone
L’intérêt principal de ce matériau réside dans ce que les chercheurs appellent la “séquestration duale” du carbone. Le CO₂ atmosphérique est absorbé de deux manières complémentaires :
- D’une part, il est utilisé par les cyanobactéries pour produire de la biomasse via la photosynthèse.
- D’autre part, cette activité photosynthétique modifie le microenvironnement extracellulaire, induisant la précipitation de carbonates minéraux, tels que le carbonate de calcium.
C’est ce second mécanisme qui offre une fixation durable du carbone, bien plus stable que la simple accumulation organique.
Une architecture microbienne optimisée
Pour permettre cette double fixation, les structures sont imprimées en 3D avec des géométries précises. L’objectif : maximiser la surface exposée à la lumière, tout en assurant une diffusion passive du fluide nutritif par capillarité. Le design favorise donc l’efficacité photosynthétique sans avoir besoin de systèmes actifs.
Le résultat est probant : des essais en laboratoire ont démontré que le matériau continue de fixer du CO₂ pendant plus de 400 jours. En moyenne, 26 mg de CO₂ sont capturés par gramme de matériau, soit plus de trois fois la performance des bétons à absorption minérale passive.
Le rôle fondamental du gel hydraté
Le support, un hydrogel à haut contenu en eau, n’est pas un simple contenant.
Sa structure est conçue pour transmettre efficacement la lumière, faciliter les échanges gazeux, et maintenir une distribution homogène des cellules. Ce n’est pas une enveloppe : c’est un écosystème artificiel.
Ce système permet aux cyanobactéries de rester actives pendant plus d’un an, un exploit rarement atteint avec des cultures encapsulées. Les cellules ne s’agglomèrent pas, ne se déplacent pas de manière aléatoire, mais restent fonctionnelles, réparties dans la matrice.
Vers une intégration dans le bâti
L’un des axes explorés est l’application directe sur les bâtiments. Le matériau pourrait devenir un revêtement de façade, actif tout au long du cycle de vie d’un édifice. À terme, cela reviendrait à intégrer la fonction de puits carbone dans l’infrastructure même, en complément des solutions chimiques classiques.
Cette piste est actuellement étudiée par des architectes au sein du programme ALIVE (Advanced Engineering with Living Materials), qui favorise la recherche interdisciplinaire autour des matériaux vivants.
Une démonstration grandeur nature
Deux installations expérimentales ont vu le jour. L’une à la Biennale de Venise, l’autre à la Triennale de Milan. Dans le pavillon du Canada à Venise, des structures imprimées en forme de troncs contiennent des cyanobactéries actives. Chaque pièce, d’environ trois mètres de haut, peut absorber jusqu’à 18 kg de CO₂ par an, soit l’équivalent d’un pin de 20 ans.
Le défi principal : adapter la production à une échelle architecturale tout en assurant un microclimat compatible. Température, humidité, lumière : tout a été calibré pour maintenir les cyanobactéries dans leur état fonctionnel. L’équipe suit quotidiennement l’évolution des structures, sur place.
Un langage architectural microbien
À Milan, un autre projet baptisé Dafne’s Skin explore une esthétique radicalement nouvelle. Des micro-organismes couvrent des bardeaux de bois, formant une patine verte évolutive. Le matériau n’est plus simplement inerte ou ornemental : il réagit, se transforme, capte du CO₂ et modifie la perception de la façade au fil du temps.
Ce travail, mené par le studio MAEID en collaboration avec l’équipe scientifique, illustre une rupture de paradigme : ce n’est plus l’architecte seul qui dessine, mais une co-construction entre vivant et matière.
Une avancée bio-ingénierique à potentiel systémique
L’ambition ne s’arrête pas aux installations. L’équipe de Mark Tibbitt, spécialiste des polymères à l’ETH Zurich, étudie désormais la stabilité mécanique à long terme, la régénération partielle du matériau, ainsi que sa compatibilité avec d’autres micro-organismes fonctionnels.
Les perspectives vont au-delà du bâtiment. Elles concernent aussi la fabrication de supports bioactifs, de filtres ou de composants régulateurs d’atmosphère, dans des environnements contraints, urbains ou isolés.
Ce matériau ne se contente pas d’absorber. Il incarne un changement de logique : concevoir des objets vivants, capables de contribuer activement à la régulation du climat.
Sour de l’étude : http://dx.doi.org/10.1038/s41467-025-58761-y


