Une équipe de chercheurs a mené une expérience dans un environnement réel à Dhaka, capitale du Bangladesh. Des étudiants en informatique ont été invités à réaliser des tâches de programmation soit seuls, soit en binôme. Deux conditions thermiques ont été testées : une pièce à 24 °C (température dite « de confort ») et une autre à 29 °C, bien en dessous des seuils considérés comme extrêmes, mais déjà inconfortables pour une activité cognitive soutenue.
Les résultats sont nets.
Les performances individuelles ne varient quasiment pas entre 24 °C et 29 °C. À l’inverse, les binômes exposés à la température plus élevée ont vu leur productivité chuter de façon significative.
Ce qui bloque, ce n’est pas le raisonnement, c’est l’interaction
L’altération ne vient pas d’une baisse des capacités cognitives isolées. Elle vient de la dégradation des dynamiques sociales. Moins de communication, moins de patience, moins d’initiatives collectives.
Les binômes exposés à la chaleur ont montré un moindre ajout de fonctionnalités dans le code, un indicateur clé de la créativité technique dans la tâche assignée. Par ailleurs, les participants dans les salles chaudes se sont déclarés moins satisfaits de leur binôme et plus enclins à vouloir changer de partenaire.
Le stress thermique, même modéré, agit donc comme un facteur d’érosion de la coopération.
Le travail d’équipe : un point de fragilité face aux hausses de température
En moyenne, à 24 °C, les binômes sont deux fois plus susceptibles que les individus seuls d’ajouter des fonctionnalités innovantes à leur programme. Cela confirme que le travail en groupe permet, dans de bonnes conditions, de dépasser les capacités individuelles.
Mais dès que la température augmente, ce levier collectif s’effondre. Le groupe n’est plus un atout. Il devient un point faible.
Les effets délétères sont accentués lorsque les binômes sont composés de profils hétérogènes (différences de genre ou de niveau académique), où la coordination nécessite davantage d’ajustements et d’écoute mutuelle.
Des implications directes pour les économies à faible infrastructure climatique
Le Bangladesh a été choisi pour cette étude non par hasard, mais en raison de son profil économique : une croissance rapide, une jeunesse formée, et une infrastructure encore largement dépourvue de climatisation centralisée.
Dans ces contextes, l’économie de la connaissance se heurte à des limites environnementales inédites. Les open spaces, les incubateurs et les centres d’innovation pourraient voir leur efficacité réduite par un simple défaut de régulation thermique.
Le coût de la chaleur n’est pas là où on l’attend
Jusqu’ici, les modèles économiques intégrant les effets du climat se concentraient sur les impacts directs : productivité physique, maladies liées à la chaleur, pertes agricoles.
Or cette étude invite à revoir cette perspective.
La chaleur dégrade la production non pas en empêchant de penser, mais en empêchant de penser à plusieurs. Or, plus de 75 % des emplois aux États-Unis en 2017 nécessitaient une part importante de travail collaboratif.
Optimiser l’environnement de travail : un enjeu stratégique
Pour les chercheurs, le message est clair. Dans les organisations où la collaboration est une composante essentielle, le contrôle climatique devient un investissement productif, pas un luxe.
Créer des conditions thermiques favorables, c’est préserver les mécanismes de coopération, réduire les tensions interpersonnelles et soutenir les formes de production fondées sur l’échange d’idées.
Données techniques de l’étude
- Lieu : Dhaka, Bangladesh
- Températures testées : 24 °C vs 29 °C
- Tâche : développement informatique (ajout de fonctionnalités à un programme)
- Population : étudiants en informatique (niveau licence)
- Comparaison : travail individuel vs travail en binôme
- Variable mesurée : nombre et qualité des ajouts au code
L’étude a été menée par Teevrat Garg, Elizabeth Lyons et Maulik Jagnani, avec le soutien du Policy Design and Evaluation Lab et du Cowhey Center for Global Transformation (UC San Diego), ainsi que de l’université Tufts.
Pour en savoir plus : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=5234644