Du 29 juin au 1er juillet, la ville d’Exeter accueille une rencontre décisive pour l’avenir du climat. À l’université, une centaine de chercheurs, industriels, décideurs publics et représentants d’ONG se réunissent pour le colloque annuel du New Carbon Economy Consortium (NCEC). Leur objectif : donner un cadre opérationnel à une ambition qui ne relève plus de la théorie : développer une économie globale qui retire plus de carbone de l’atmosphère qu’elle n’en émet.
Une nouvelle économie, fondée sur l’extraction inversée
Le concept de “nouvelle économie du carbone” repose sur une idée simple mais radicale : à mesure que les émissions historiques continuent de dérégler le climat, il devient nécessaire de les extraire activement de l’atmosphère, et pas uniquement de freiner leur émission.
Ce changement de paradigme implique de déplacer le centre de gravité de l’économie mondiale. Là où les siècles précédents ont bâti leur prospérité sur l’extraction de ressources fossiles, le NCEC propose un modèle inverse : extraire du CO₂ pour créer des matériaux, des carburants, de la fertilité agricole, et même de nouveaux métiers.
Klaus Lackner, directeur du Center for Negative Carbon Emissions à l’université d’Arizona, résume cette transition : « Nous voulons passer d’une logique de dégradation à une économie de captation productive, qui transforme les émissions passées en ressources valorisables. »
Trois leviers pour capter le carbone à grande échelle
Le NCEC structure sa stratégie autour de trois grandes familles de solutions, qui correspondent à des approches complémentaires : techniques, biologiques et hybrides.
1. Les solutions dites “ingénierées”
Elles reposent sur des technologies capables de capturer le CO₂ atmosphérique ou dissous dans les océans, pour le transformer ou le stocker durablement.
- DAC (Direct Air Capture) : filtration de l’air ambiant pour en extraire le CO₂ à concentration faible mais stable.
- Minéralisation accélérée : injection du CO₂ dans des roches basiques pour former des carbonates stables.
- Valorisation industrielle : intégration du CO₂ dans le béton, les carburants synthétiques ou les plastiques biosourcés.
Un exemple concret est le projet SeaCURE, piloté par l’université d’Exeter. Il développe un procédé permettant d’extraire le CO₂ dissous dans l’eau de mer, en limitant les perturbations sur la biogéochimie marine. L’idée : tirer parti de l’équilibre CO₂ atmosphère-océan pour opérer une capture indirecte de l’air via la mer.
2. Les solutions biologiques
Elles visent à stimuler les puits de carbone naturels, via des pratiques de gestion écologique des sols, des forêts, et des systèmes aquatiques.
- Reforestation et gestion durable des forêts.
- Agriculture régénérative : culture en couvert permanent, non-labour, compostage, agroforesterie.
- Culture d’algues à haut rendement, utilisées ensuite en alimentation animale ou fertilisants.
Ces stratégies ont l’avantage de créer des co-bénéfices : restauration des sols, biodiversité, sécurité alimentaire. Elles nécessitent cependant des surfaces importantes et posent des questions de durabilité à long terme.
Le projet CASPER en est une illustration. Il s’intéresse aux dynamiques microbiologiques des sols, afin de comprendre combien de temps le carbone stocké y reste et comment optimiser sa stabilité.
3. Les approches hybrides
Elles combinent ressources biologiques et technologie pour maximiser les effets.
- BECCS (Bioenergy with Carbon Capture and Storage) : produire de l’énergie à partir de biomasse, capter le CO₂ des fumées, puis le stocker.
- Biochar : charbon végétal issu de pyrolyse, incorporé au sol pour améliorer sa fertilité et son taux de carbone.
- Aquaculture de carbone : systèmes mixtes d’algoculture et de conchyliculture valorisant la capture marine du CO₂.
Des promesses, mais aussi des tensions éthiques et géopolitiques
Derrière l’optimisme technologique, le NCEC n’élude pas les questions sociétales majeures que soulèvent ces solutions.
- Quelle est la légitimité d’un projet de reforestation dans une région où la souveraineté foncière est contestée ?
- Qui contrôle les brevets sur les procédés de capture directe ?
- Quelles garanties donne-t-on sur la permanence du stockage ?
L’université d’Exeter insiste sur l’importance de traiter ces dimensions : « Nous devons évaluer les impacts climatiques mais aussi les effets économiques, sociaux et politiques de chaque technologie. Une transition climatique non éthique serait une impasse. »
Un changement d’échelle indispensable
Aujourd’hui, toutes les technologies de capture du carbone cumulées retirent à peine 0,1 gigatonne de CO₂ par an. Pour respecter les trajectoires de neutralité carbone d’ici 2050, il faudra en extraire entre 5 et 10 gigatonnes chaque année, soit un facteur 100 à 200 de progression.
Le défi n’est donc pas technologique uniquement. Il est également financier, réglementaire et industriel.
Un sommet mondial pour structurer l’écosystème
La force du NCEC réside dans son approche systémique.
Lors de ce sommet à Exeter, des représentants venus d’Australie, du Panama, de l’Ouganda ou encore de l’Europe partagent des retours de terrain, des outils de modélisation, et des projets pilotes en cours. L’ambition est de faire émerger un véritable écosystème mondial de l’économie carbone négative, capable d’attirer des financements privés, de sécuriser des filières industrielles et de s’inscrire dans les politiques publiques.
Amanda Ellis, co-présidente du NCEC et ancienne ambassadrice de Nouvelle-Zélande à l’ONU, insiste sur la transversalité : « Ce n’est pas un sommet d’ingénieurs. C’est un sommet de bâtisseurs, au sens large : scientifiques, financiers, décideurs, communautés locales. Tous ont un rôle à jouer. »
Le mot d’ordre est clair : coopérer pour construire, et vite.
Pour en savoir plus : https://www.newcarboneconomy.org/