Ils sont sorti le 17 juin 2025, pendant quinze jours, un groupe de 17 personnes artistes et membres d’une équipe technique pluridisciplinaire a vécu coupé de toute temporalité dans la grotte de Lombrives, en Ariège. Aucune lumière naturelle. Aucun repère horaire. Aucun contact avec l’extérieur.
Ce dispositif immersif, baptisé « deep time art », a été conçu par l’explorateur-chercheur Christian Clot sous l’égide de l’Human Adaptation Institute. Il s’agissait de la première résidence artistique en conditions extrêmes, sans référence au temps, avec un double objectif : produire des œuvres originales et observer comment se structure la créativité humaine en l’absence de toute contrainte temporelle.
Un dispositif né d’une précédente expérience humaine hors du temps
En 2021, le projet deep time avait conduit 15 participants à passer 40 jours sans repère temporel dans cette même cavité souterraine. L’objectif était alors purement scientifique : observer la désynchronisation des rythmes biologiques, la perception du temps et l’adaptation sociale.
L’édition 2025 se distingue sur un point fondamental : le temps n’est plus seulement étudié, il devient un terrain de création. Neuf artistes issus de disciplines variées : arts visuels, théâtre, danse, performance, jeu vidéo ont été sélectionnés sur dossier par un comité artistique présidé par Maxime Fleuriot.
Une synchronisation spontanée qui interroge
Dans ce type de protocole, on s’attend naturellement à voir apparaître des rythmes biologiques divergents. Pourtant, contre toute attente, les membres du groupe se sont spontanément alignés : endormissements, réveils, phases d’activité… Tous ont fonctionné selon une dynamique collective cohérente, sans désynchronisation observable.
Aucune alarme. Aucun marqueur lumineux. Aucun repère exogène.
Ce phénomène mérite attention. Christian Clot évoque trois hypothèses :
- La force d’un objectif commun – La production artistique a constitué un moteur collectif puissant.
- Une communauté volontairement soudée – Le groupe a manifesté un fort désir de coopération.
- Une régulation interne favorisée – L’absence d’injonctions extérieures aurait permis une écoute plus fine des signaux physiologiques.
Ces hypothèses restent pour l’heure empiriques. Les données physiologiques (température centrale, cycles de sommeil, charge cognitive) doivent maintenant être traitées, analysées et comparées à celles issues de deep time 2021.
Créer sans repère chronologique
Les artistes ont travaillé sans aucune indication de durée. Les notions d’horaire ou de deadline ont disparu. Ce contexte de neutralité temporelle a donné lieu à des créations qui ne répondent à aucune norme habituelle de productivité.
Certaines œuvres sont matérielles (sculptures, peintures, installations), d’autres conceptuelles ou éphémères. Certaines ne peuvent exister qu’en étant expérimentées dans cet environnement. D’autres n’ont de sens que dans leur genèse souterraine.
Les disciplines représentées incluaient :
- la sculpture (Sébastien Langloÿs, James Trudel)
- le théâtre (Elsa Delmas, Marie Lecocq)
- la performance chorégraphique (Suzanne Henry)
- les arts plastiques et la photo (Louise Noël, Laurence Piaget-Dupuis, Aurianne Kida)
- le jeu vidéo (Pierre Corbinais)
Logistique souterraine et vie en autonomie
Vivre deux semaines dans une cavité de plusieurs kilomètres nécessite une organisation rigoureuse. Une équipe technique de soutien a acheminé plus de deux tonnes de matériel et de vivres. L’espace de vie a été aménagé dans des conditions stables (température constante, humidité, sécurité physique), sans électricité externe ni réseau.
Le pilotage de l’opération a été assuré par :
- Jérémy Roumian (logistique générale)
- Marion Trousselard (volet scientifique)
- Maxime Fleuriot (coordination artistique)
Des spéléologues, médecins, intendants et chercheurs ont accompagné l’équipe sur toute la durée de l’expérience.
Un programme scientifique ambitieux
Trois axes structurent l’analyse post-mission :
- Comparer les données avec celles de 2021, notamment en ce qui concerne la température corporelle, les rythmes circadiens et les dynamiques sociales.
- Évaluer l’impact de la privation temporelle sur la créativité – Quelles formes émergent lorsque les contraintes de rapidité, d’efficacité ou de planification sont supprimées ?
- Comprendre comment un collectif hétérogène se synchronise sans intervention extérieure. Peut-on observer l’émergence d’un temps social auto-régulé ?
Les résultats devront être modélisés. Mais déjà, les observations qualitatives laissent entrevoir une plasticité cognitive et sociale inattendue.
Bientôt une restitution publique des œuvres ?
L’équipe envisage désormais d’organiser une exposition dédiée. Mais cette restitution ne saurait être classique. Comment rendre compte d’une œuvre créée en dehors de tout cadre temporel, dans un lieu clos, invisible, inaccessible au public ?
La scénographie devra intégrer la temporalité d’origine de chaque création. Certaines œuvres sont intransportables, d’autres se refusent à toute représentation hors du contexte d’isolement.
C’est un défi à la fois muséographique et conceptuel.

Une nouvelle approche de l’adaptation humaine ?
Plus qu’une performance ou une résidence immersive, deep time art interroge notre relation biologique, cognitive et culturelle au temps. Le protocole offre un terrain unique pour repenser la créativité, la cohésion sociale et la régulation biologique en dehors des structures temporelles imposées.
Il ne s’agit pas de s’extraire durablement du temps. Il s’agit de comprendre ce que devient l’humain lorsqu’on lui retire le cadre.
Et ce que peut produire l’esprit lorsqu’il n’est plus contraint par l’horloge.