Le grand collisionneur de hadrons peut-il briser la théorie des cordes ?

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Le grand écart entre la gravité et les particules

Depuis près d’un siècle, la physique repose sur deux piliers théoriques : le modèle standard pour les particules et les interactions (hors gravitation), et la relativité générale pour la gravité. Problème : ces deux frameworks s’ignorent mutuellement. Ils ne sont pas compatibles, ni sur le plan mathématique, ni sur celui de la dynamique. L’un parle en champs quantiques, l’autre en courbure de l’espace-temps.

Pour combler ce fossé, des physiciens ont misé sur la théorie des cordes, qui propose de décrire tous les constituants fondamentaux de la matière et de l’énergie comme des cordelettes vibrantes évoluant dans un espace-temps à 10 ou 11 dimensions.

Une théorie belle mais insaisissable

Le charme de la théorie des cordes, c’est qu’elle promet une unification. Elle pourrait décrire à la fois la gravité et les autres interactions, dans un même langage. Mais cette beauté cache une faiblesse : elle produit un foisonnement de solutions. Des myriades d’univers possibles, des milliers de configurations compatibles avec nos lois connues. Difficile, dans ce labyrinthe, de trouver une prédiction testable.

Pire : les phénomènes typiques des cordes n’apparaissent qu’à des énergies titanesques, bien au-delà de ce que les machines actuelles peuvent produire.

Le Large Hadron Collider entre en scène

C’est dans ce contexte que l’équipe de Jonathan Heckman (Université de Pennsylvanie) et ses collègues d’Arizona State ont inversé la question. Non plus “que prédit la théorie des cordes ?”, mais “qu’exclut-elle catégoriquement ?”

Et leur réponse est limpide : un multiplet de cinq particules, appelé un 5-plet, n’apparaît dans aucun modèle de théorie des cordes connu. Ce type de configuration est pourtant parfaitement définissable du point de vue de la physique des particules.

Un menu absent dans la carte des cordes

Les particules du modèle standard sont souvent organisées en doublets, notamment via l’interaction faible (comme l’électron et le neutrino). Ce sont des structures familières, bien gérées par la théorie des cordes.

Mais dès que l’on cherche à obtenir un multiplet de cinq particules liées par cette même interaction, aucun mécanisme basé sur les cordes ne permet de le faire apparaître. C’est comme chercher à commander un Big Mac dans une pizzeria : la réponse est toujours non, même en tordant le menu.

Le 5-plet : cible mathématique et expérimentale

Ce 5-plet, modélisé dans un Lagrangien standard, contient notamment une particule neutre appelée X0, et plusieurs états chargés très instables. Ce sont des fermions de type Majorana, c’est-à-dire qu’ils sont leur propre antiparticule. Une rareté dans la nature.

Si une telle structure est observée, la conclusion serait sans appel : la théorie des cordes, dans sa formulation actuelle, est en échec.

Des traces fantômes comme signature expérimentale

Mais encore faut-il détecter ce 5-plet. Et là, deux obstacles se dressent : sa masse potentiellement gigantesque, et sa discrétion dans les détecteurs.

Produire un 5-plet au LHC exige des énergies énormes. Les collisions doivent convertir suffisamment d’énergie (E) en masse (m), selon E = mc2. Mais plus la particule est lourde, plus sa production est rare.

Et même produites, ces particules laissent peu de traces. Les états chargés du 5-plet se désintègrent en un pion très mou (quasiment invisible) et en une particule neutre (X0) qui traverse le détecteur sans interagir. Résultat : une piste de particule qui disparaît subitement, comme si des empreintes s’arrêtaient net dans la neige.

Les yeux du LHC : ATLAS et CMS

Pour traquer ces disparitions, deux détecteurs géants opèrent au CERN : ATLAS et CMS, installés à deux points d’impact distincts. Ils fonctionnent indépendamment, mais visent les mêmes événements : ceux qui pourraient bouleverser notre compréhension des lois fondamentales.

Les membres de l’équipe de Penn sont intégrés à la collaboration ATLAS. Ils ont fouillé les données issues de recherches initialement conçues pour détecter d’autres particules exotiques (les charginos), en y cherchant les signatures d’un 5-plet.

Un lien inattendu avec la matière noire

Le 5-plet, s’il existe, n’est pas qu’un casse-tête pour les théoriciens. Il pourrait être un excellent candidat pour la matière noire, cette composante invisible qui représente 85 % de la masse totale de l’univers.

Si le 5-plet a une masse d’environ 10 TeV (soit 10 000 fois celle du proton), il cadre parfaitement avec les modèles de formation de matière noire après le Big Bang. Et même avec une masse plus basse, il pourrait participer à un écosystème de particules sombres.

Ce que les données actuelles ont déjà exclu

L’analyse des données passées n’a pas permis de détecter de 5-plet. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas. Cela implique simplement que, s’il existe, il est plus massif que 650 à 700 GeV, soit environ cinq fois plus lourd que le boson de Higgs.

Ce résultat est déjà un resserrement important des possibles. Les 5-plets légers sont désormais exclus. Mais les versions lourdes restent totalement envisageables.

Un stress test grandeur nature

Ce travail ne vise pas à démolir la théorie des cordes, mais à la confronter à l’expérience. Un test de résistance. Une mise à l’épreuve empirique.

Et comme le souligne l’équipe : si la théorie survit, elle en ressort renforcée. Mais si elle cède, c’est une opportunité rare d’apprendre quelque chose de profond sur la structure du réel.

Pour en savoir plus : http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevResearch.7.023184

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Eric GARLETTI
Eric GARLETTIhttps://www.eric-garletti.fr/
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