Dans certaines zones côtières peu profondes, le simple passage d’un navire suffit à libérer dans l’atmosphère d’importantes quantités de méthane, un gaz à effet de serre 27 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. C’est ce que révèle une étude dirigée par l’université de technologie de Chalmers, en collaboration avec le SMHI et l’Institut météorologique finlandais.
Des émissions multipliées par vingt dans les chenaux de navigation
Les chercheurs ont observé que dans le chenal de navigation de la baie de Neva (mer Baltique), les émissions de méthane étaient vingt fois supérieures à celles relevées dans des zones adjacentes non perturbées. Ce n’est pas le carburant des navires qui est en cause, mais leur simple présence dans l’eau.
La perturbation vient de deux mécanismes physiques combinés :
- Une variation de pression au fond marin au passage du navire
- Un brassage intense de la colonne d’eau dans son sillage
Ces deux phénomènes facilitent la remontée rapide de méthane dissous ou piégé sous forme gazeuse dans les sédiments. Une fois à la surface, le méthane s’échappe presque immédiatement vers l’atmosphère.
Un processus totalement indépendant du carburant utilisé
Contrairement à d’autres préoccupations environnementales liées au GNL, cette émission de méthane n’a rien à voir avec la propulsion des navires. Elle concerne tous les types de navires, y compris ceux fonctionnant au fioul classique.
Cela implique que l’impact climatique du transport maritime a jusqu’à présent été largement sous-estimé. Les inventaires d’émissions négligent en grande partie ces rejets provoqués par des facteurs mécaniques et environnementaux.
Ports peu profonds et sédiments anoxiques : un cocktail méthanogène
L’étude s’est focalisée sur les zones marines peu profondes, riches en matière organique et dépourvues d’oxygène au fond. Dans ces environnements, des conditions idéales sont réunies pour la production microbienne de méthane. Habituellement piégé dans les sédiments, le gaz remonte lorsque le fond marin est dépressurisé par le passage d’un navire.
Ce mécanisme est particulièrement actif dans des ports situés dans des deltas ou des zones côtières semi-fermées. Les ports concernés sont nombreux, à commencer par les plus grands hubs mondiaux comme Shanghai, Rotterdam, Singapour ou Anvers.
Découverte fortuite, portée globale
Ce phénomène a été mis en lumière par hasard, lors de mesures optiques réalisées dans la baie de Neva. L’équipe du professeur Johan Mellqvist, spécialiste de la télédétection, a observé des pics soudains d’émissions en corrélation avec le passage de navires. Ces résultats ont ensuite été confirmés par une approche interdisciplinaire.
Quels navires libèrent le plus de méthane ?
Les émissions les plus importantes ont été détectées après le passage des navires de croisière et des porte-conteneurs, mais ce ne sont pas les seuls responsables.
Les ferries ropax, combinant fret et passagers, ont également montré une activité significative. Une hypothèse avancée par l’équipe est leur usage fréquent de double hélice, accentuant les perturbations dans l’eau. À l’inverse, les minéraliers, bien que plus grands, génèrent moins de rejets.
Une révision nécessaire des méthodologies de mesure
Actuellement, les émissions de méthane sont mal estimées car les méthodes classiques ne tiennent pas compte de ces pics fugaces mais massifs provoqués par la navigation. L’équipe de Chalmers appelle donc à reconsidérer les protocoles de mesure, notamment dans les zones côtières à forte activité maritime.
Une nouvelle campagne va démarrer à l’automne pour étendre les observations à d’autres ports majeurs possédant des conditions sédimentaires similaires. L’objectif est de quantifier l’impact global de ce phénomène sur les émissions de méthane anthropiques.
Collaboration scientifique et publication
L’article Coastal methane emissions triggered by ship passages est publié dans Nature Communications Earth & Environment. Il est signé par Amanda T. Nylund, Johan Mellqvist, Vladimir Conde, Kent Salo, Rickard Bensow, Lars Arneborg, Jukka-Pekka Jalkanen, Anders Tengberg et Ida-Maja Hassellöv. Tous sont affiliés à Chalmers, au SMHI ou à l’Institut météorologique finlandais.
Pour en savoir plus : http://dx.doi.org/10.1038/s43247-025-02344-8