Apollon : le titan français de la lumière, plus puissant laser du monde.
L’installation de Saclay dédiée au projet Apollon occupe 4 000 mètres carrés et repose dans un ancien bunker réaménagé pour isoler les équipements des vibrations extérieures. Ce calme apparent contraste avec l’intensité folle des faisceaux qui y circulent. Car ici, on parle de puissances crête dépassant les 10 pétawatts, soit 10 millions de milliards de watts concentrés dans une impulsion de 15 femtosecondes, soit au moment où nous écrivons ses lignes, le plus puissant laser du monde !
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Le Laser français Apollon est le plus puissant du monde avec 10 pétawatts
Le cœur de la technologie Apollon repose sur une technique d’amplification appelée CPA (chirped pulse amplification). Le principe ? Prendre une impulsion laser toute fine, l’étirer dans le temps pour éviter d’abîmer les composants, la gonfler en énergie, puis la re-comprimer. Cela revient à transformer un petit pétard mouillé en coup de canon… mais sans le bruit.
Cette technique a valu un prix Nobel à ses inventeurs et a permis à Apollon de devenir l’un des rares lasers au monde à atteindre la classe des 10 PW. Ce n’est pas seulement impressionnant sur le papier : cela ouvre la voie à des expériences jusqu’ici impossibles. L’optique, les cristaux, les miroirs et les instruments de focalisation employés doivent être d’une précision extrême. On est ici dans une horlogerie de photons.
Des faisceaux pour toutes les situations
Apollon ne se contente pas d’un seul rayon. Il en propose plusieurs, synchronisables entre eux, pour ajuster la configuration à la nature des expériences. Le plus puissant, F1, délivre jusqu’à 10 PW. Le F2, plus modeste, atteint 1 PW. Un faisceau spécial, F3, est dédié à la génération de plasmas particuliers, tandis qu’un dernier faisceau ultracourt sert de sonde.
L’installation est ouverte à la communauté scientifique, avec des sessions d’accès pour les équipes françaises, européennes ou internationales. Les chercheurs peuvent venir tester des hypothèses, affiner des modèles, ou tout simplement provoquer un peu d’inédit dans les lois de la physique.
Ce que permet vraiment un laser de 10 pétawatts
Quand on dispose de telles puissances, on peut envisager des expériences aux limites de la matière et de l’espace-temps. Apollon permet :
- D’accélérer des particules (électrons, protons) sans passer par des tunnels de plusieurs kilomètres. Une aubaine pour les nouvelles méthodes de radiothérapie ou les tests de matériaux en conditions extrêmes.
- De produire des rayons X ou gamma ultra-brefs, capables de prendre des clichés de la matière à l’échelle atomique, ou d’observer en direct des réactions chimiques ultrarapides.
- De générer des champs électriques aussi denses que ceux rencontrés autour des étoiles à neutrons, permettant de tester des prédictions très rares de la physique quantique.
Certaines expériences espèrent même reproduire des conditions proches de l’Univers juste après le Big Bang, à quelques milliardièmes de seconde près.
La France, acteur central de la course mondiale aux lasers extrêmes
Dans cette compétition technologique, Apollon conserve une longueur d’avance. Des installations chinoises comme SULF (Shanghai) ou européennes comme ELI (Roumanie, Hongrie, Tchéquie) tentent aussi d’atteindre les 10 PW. Certaines y parviennent sur le papier, mais Apollon est l’un des rares à être pleinement opérationnel et accessible à la communauté scientifique.
Financé par l’Agence nationale de la recherche et piloté par un consortium mené par le CNRS, l’École Polytechnique, Sorbonne Université, avec Thales en partenaire industriel, Apollon n’est pas une vitrine, c’est un instrument de recherche actif. Il illustre le choix stratégique de la France de miser sur les infrastructures de rupture plutôt que la course au nombre.
Des applications au-delà de la science fondamentale
Apollon, ce n’est pas seulement de la physique pour initiés. Il prépare déjà le terrain pour des usages appliqués :
- En médecine, pour le traitement ciblé des tumeurs grâce à l’accélération de protons,
- En imagerie, pour voir à l’intérieur de matériaux sans les endommager,
- En nucléaire, pour étudier la fission, la fusion, voire proposer de nouvelles voies pour gérer les déchets,
- En technologie des matériaux, pour comprendre comment la matière réagit à des conditions extrêmes et concevoir de nouvelles structures plus résistantes.
C’est une boîte à outils lumineuse, capable de tout sauf de faire un café. Pour l’instant.
Un avenir chargé… de photons
Apollon est en service depuis peu mais il attire déjà les physiciens du monde entier. Ce laser n’est pas seulement une source d’énergie lumineuse, c’est un lieu de convergence des curiosités scientifiques. Son infrastructure pourrait évoluer, accueillir de nouveaux faisceaux, monter en cadence ou s’intégrer à des projets européens encore plus vastes.
D’autres pays observent, imitent, parfois investissent, mais le cœur battant de la lumière extrême reste aujourd’hui sur le plateau de Saclay. C’est là que se joue, entre silence blindé et faisceaux impitoyables, une partie de l’avenir de la recherche scientifique mondiale.
Sources :
• https://www.polytechnique.edu/en/news/apollon-power-laser-infrastructure-explained-video
• https://arxiv.org/html/2412.09267v1
• https://sustainability-times.com/research/france-still-ahead-while-u-s-boasts-laser-as-powerful-as-a-million-reactors-apollon-quietly-breaks-global-energy-records