Une alliance stratégique française pour mieux comprendre les pôles.
Les pôles fondent, les océans montent… et la recherche française se réorganise. Ce 11 juillet 2025 a marqué un tournant pour la France des pôles : l’Institut polaire français (IPEV) a annoncé officiellement qu’il rejoindra l’Ifremer d’ici fin 2026, et le CNRS prend officiellement la main sur l’animation scientifique de toute la communauté polaire française. Objectif ? Coordonner, mutualiser et accélérer la recherche dans ces régions extrêmes qui n’ont jamais été aussi vulnérables, ni aussi vitales pour l’avenir de la planète.
Une double décision aux allures de plan Marshall scientifique, alors que les transformations aux pôles s’emballent : fonte accélérée de la cryosphère, biodiversité bouleversée, bouleversements sur la circulation océanique, et pression croissante sur les ressources. Difficile de rester les bras croisés pendant que l’Arctique devient navigable de plus en plus longtemps dans l’année et que l’Antarctique perd de la glace à des vitesses inédites.
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Une refonte scientifique française pour une recherche plus agile sur les pôles
Premier étage de la fusée : l’IPEV sera labellisé “Très grande infrastructure de recherche” (IR*) avant fin 2026, rejoignant ainsi le cercle restreint des outils scientifiques d’intérêt national. Il intégrera par la suite l’Ifremer sous la forme d’une direction dédiée, un peu comme la Flotte océanographique française l’a fait en 2018.
En clair, un rapprochement logistique, organisationnel, mais aussi stratégique.
C’est David Renault, professeur à l’Université de Rennes et nouveau directeur de l’IPEV, qui aura la responsabilité de piloter cette transition. Une sorte de capitaine de brise-glace, chargé d’amarrer solidement la structure au navire Ifremer, tout en maintenant le cap scientifique.
De son côté, le CNRS prend la barre de la coordination scientifique nationale. Il jouera un rôle central pour définir les grandes orientations de la recherche polaire française, établir les priorités et fédérer les universités, ministères et partenaires internationaux. Ce n’est pas un simple changement de logos, c’est un saut d’échelle dans l’organisation de la recherche polaire tricolore.
Six stations et des chercheurs dans la tempête
Concrètement, l’IPEV, ce n’est pas juste un bureau à Brest. C’est plus de 80 projets scientifiques par an, des centaines de chercheuses et chercheurs envoyés sur le terrain, et six stations réparties aux quatre coins du monde froid : des bases antarctiques de Dumont d’Urville et Concordia, aux confins de l’Arctique avec la station AWIPEV, en passant par les îles australes françaises.
Sans oublier les 40 refuges isolés sur l’île d’Amsterdam, dans l’archipel de Crozet ou à Kerguelen. Là-bas, l’IPEV assure tout : logistique, maintenance, ravitaillement. Loin du confort du CNRS ou des amphithéâtres universitaires, on y fait de la science en bottes, entre vent hurlant et températures négatives.
Et ce qu’on y étudie ? Le climat, la biodiversité, la géologie, la sismologie, l’astronomie ou encore la biologie humaine. Autrement dit, des données précieuses, impossibles à obtenir ailleurs. Ce sont ces informations qui nourrissent les modèles climatiques, les alertes sur la montée des océans ou la compréhension des écosystèmes extrêmes.
Le CNRS en chef d’orchestre de la recherche polaire
Le CNRS, déjà très investi, passe désormais à la vitesse supérieure. Le 9 juin, il a dévoilé la première stratégie nationale pour la recherche scientifique aux pôles, lors de la conférence des Nations unies pour l’océan (UNOC-3) à Nice. Une synthèse ambitieuse, qui fait le point sur les forces françaises et trace une feuille de route pour les années à venir.
Pour Antoine Petit, président du CNRS, la science polaire est un pilier de la diplomatie française. Il s’agit non seulement de faire avancer les connaissances, mais aussi de peser dans les discussions internationales sur l’avenir de l’Arctique et de l’Antarctique. La stratégie portée par l’ambassadeur Olivier Poivre d’Arvor en est l’illustration politique, et la structuration CNRS–IPEV–Ifremer en est le bras scientifique.
L’enjeu ? Offrir une vision claire, cohérente et partagée à tous les acteurs de la recherche polaire. Rassembler les universités, les organismes, les ministères. Éviter les doublons, mutualiser les moyens, anticiper les besoins.
Décloisonner les disciplines, relier les échelles
Les changements en cours dans les régions polaires n’agissent pas en vase clos. Comme le souligne David Renault, ils se répercutent des calottes glaciaires jusqu’aux grands courants marins, influençant le climat à l’échelle mondiale. La cryosphère, en fondant, modifie le niveau des océans, mais aussi la circulation thermohaline – ce tapis roulant qui régule la température de la planète.
Or, jusqu’à présent, beaucoup de recherches restaient compartimentées : climat d’un côté, biodiversité de l’autre, océanographie à part. Cette nouvelle alliance vise à décloisonner tout ça. À connecter les disciplines, à articuler les échelles de temps et d’espace.
L’objectif est d’entrer dans une logique “One Environment” : une seule planète, des écosystèmes interconnectés, des réponses coordonnées.
La France peut-elle vraiment devenir une grande puissance des pôles ?
Deux bases, dont une seule occupée à l’année : à l’échelle de l’Antarctique, c’est peu. Quand l’Argentine en aligne treize, que l’Australie ou le Chili quadrillent littéralement le continent blanc avec une demi-douzaine de stations permanentes, la présence française semble modeste. Et pourtant, ne nous y trompons pas : la puissance polaire ne se mesure pas uniquement au nombre de baraquements plantés dans la glace. Si la France veut peser dans ce concert glacé, ce sera par la qualité de sa recherche, sa diplomatie scientifique et sa capacité à fédérer. L’Antarctique n’est pas un territoire à conquérir, c’est un laboratoire à comprendre. Et c’est précisément ce que vise la nouvelle stratégie CNRS–IPEV–Ifremer : une approche structurée, interdisciplinaire, tournée vers les grands enjeux du climat mondial. Moins de bases, peut-être, mais plus de cohérence, plus de science, plus de vision. De quoi compenser la quantité par l’impact, et faire entendre une voix tricolore dans les décisions qui s’écrivent sous zéro degré.
Pays présents en Antarctique et leur nombre de bases
Nation | Nombre total de bases | Bases permanentes | Bases saisonnières | Nature des bases |
Australie | 12 | 6 | 6 | Scientifiques |
Argentine | 13 | 6 | 7 | Scientifiques et logistiques |
Chili | 8 | 6 | 2 | Scientifiques |
France | 2 | 1 (Dumont d’Urville) | 1 | Scientifiques |
Nouvelle-Zélande | 3 | 2 | 1 | Scientifiques |
Royaume-Uni | 6 | 4 | 2 | Scientifiques |
Norvège | 3 | 2 | 1 | Scientifiques |
États-Unis | 7 | 5 | 2 | Scientifiques et logistiques |
Russie | 7 | 5 | 2 | Scientifiques |
Japon | 2 | 2 | 0 | Scientifiques |
Afrique du Sud | 2 | 1 | 1 | Scientifiques |
Belgique | 1 | 1 | 0 | Scientifiques |
Remarques :
- Les chiffres peuvent varier légèrement selon les saisons et les projets spécifiques.
- Les bases permanentes sont occupées toute l’année, tandis que les bases saisonnières fonctionnent principalement pendant l’été austral.
- La majorité des bases sont dédiées à la recherche scientifique multidisciplinaire.
- Certaines nations (ex. Argentine, Chili) ont des bases proches de leurs revendications territoriales historiques.
Source : CNRS
Image : Gunther Lawers / Institut polaire français
Vous parlez de qu’elles bases françaises quand vous dites qu’une seule sur les 1 est ouverte à l’année ?
Bonjour, il s’agit de la base Dumont d’Urville sur l’île des Pétrels, en terre Adélie, dans l’archipel de Pointe-Géologie. Merci pour votre lecture et votre question !