“Big Carl” soulève une cathédrale nucléaire : le chantier titanesque d’Hinkley Point C.
En ce mois de juillet, une silhouette massive s’est lentement élevée dans le ciel du Somerset, au Royaume-Uni. Une calotte d’acier de 245 tonnes, aussi haute qu’un immeuble de cinq étages, a été déposée avec une précision chirurgicale sur le réacteur 2 de la centrale nucléaire Hinkley Point C. À la manœuvre, Big Carl, la plus grande grue de construction au monde. Un colosse d’acier monté sur rails, long comme un train, puissant comme une centrale elle-même.
Cette scène impressionnante marque une nouvelle étape pour le premier chantier nucléaire britannique en plus de 30 ans. EDF Energy, le maître d’œuvre, mise sur deux réacteurs EPR jumeaux, capables à terme d’alimenter six millions de foyers en électricité bas-carbone. Si tout va bien, les turbines tourneront en 2031. Avec cinq ans de retard… mais quelques leçons tirées.
Lire aussi :
- Eiffage remporte un contrat à 4 milliards d’euros avec EDF pour le projet EPR2 à Penly
- Les Etats-Unis rejoignent la course pour cette nouvelle génération de réacteurs nucléaires appelée à dessiner le futur de l’énergie : les SMR
Une cathédrale d’acier posée en silence par EDF sur le réacteur 2 de la centrale nucléaire Hinkley Point C
Ce dôme est le toit du cœur nucléaire, celui qui coiffe la cuve du réacteur et renforce la sécurité de l’ensemble. Hauteur : 14 mètres. Poids : 245 tonnes. Soudures : 900. Une pièce unique, conçue à l’usine, assemblée au sol, puis soulevée d’un bloc pour être posée sur sa base de béton.
En haut de la grue, à plus de 44 mètres du sol une fois l’opération terminée, le calme règne. Tout est lent, minuté, millimétré. On pourrait croire à un rituel. Sauf qu’ici, chaque geste coûte des millions.
Un chantier à répétition… pour gagner des années
Pour ce réacteur comme pour son jumeau, EDF a misé sur la répétition : même conception, mêmes pièces, même méthode. Selon Stuart Crooks, PDG de Hinkley Point C, la construction du deuxième réacteur est déjà 20 à 30 % plus rapide. Les retards du premier ont servi de terrain d’apprentissage.
Ce chantier géant, estimé à 26 milliards de livres sterling (soit près de 33 milliards d’euros), a souffert des ralentissements dus à la pandémie. Aujourd’hui, il redevient le symbole du renouveau nucléaire britannique. Une relance que le gouvernement accompagne avec des projets comme Sizewell C ou les petits réacteurs modulaires (SMR).
Big Carl, la grue qui déplace des cathédrales
Big Carl, une SGC-250 construite par Sarens, en hommage à son fondateur Carl Sarens. Longue de plus de 200 mètres, montée sur 96 roues, elle est capable de soulever jusqu’à 5 000 tonnes, soit une demie Tour Eiffel couchée sur le flanc.
Elle se déplace lentement, sur 6 kilomètres de rails, et utilise 52 contrepoids de 100 tonnes chacun pour rester stable, même sous charge maximale. Elle a déjà soulevé des composants de 423 tonnes sur le chantier. Chaque opération est un ballet d’ingénierie, où les marges d’erreur se comptent en centimètres pour des structures pesant des centaines de tonnes.
Un pari politique, industriel et énergétique
Pour Michael Shanks, ministre britannique de l’énergie, Hinkley Point C représente bien plus qu’un projet technique. C’est une promesse d’indépendance énergétique, un levier contre la volatilité des marchés, un gisement d’emplois qualifiés pour le Somerset et ses alentours.
Dans une déclaration récente, il évoque une “nouvelle ère nucléaire”, portée à la fois par de grands réacteurs comme Hinkley, mais aussi par des technologies plus compactes. Le message est clair : le Royaume-Uni ne veut plus subir les coupures, les hausses de prix ou les incertitudes géopolitiques. Il veut construire ses mégawatts à la maison.
Le nucléaire redresse la tête en Europe
Dans un contexte européen où le nucléaire revient timidement dans les débats, de la France à la Pologne en passant par la Finlande, Hinkley Point C fait figure de pionnier… et de cobaye. Le chantier est scruté à la loupe, car il symbolise une stratégie assumée : miser sur du nucléaire lourd, mais reproductible.
Le défi est immense. Les coûts sont vertigineux. Mais si l’objectif est de produire une électricité stable, décarbonée, et à très haute puissance, alors peu de technologies peuvent rivaliser. Les éoliennes et les panneaux solaires ne suffisent pas à tout faire. Le nucléaire, dans cette équation, reste une brique irremplaçable.
À l’ombre de Big Carl, une ambition géante
Derrière les chiffres, les tonnes d’acier et les kilomètres de câbles, c’est une volonté politique et industrielle qui s’exprime. Celle de construire quelque chose de massif, de durable, de stratégique. D’oser, malgré les retards, malgré les budgets qui débordent.
Dans ce puzzle géant, Big Carl reste l’emblème d’une époque qui veut soulever l’impossible. Une grue, oui. Mais aussi un symbole d’ingénierie, de patience et de promesse énergétique. À Hinkley Point C, l’histoire se construit… centimètre par centimètre.
Source : EDF Energy