Un photon a été téléporté pour la première fois dans une mémoire quantique.
Tous les fans de Star Trek et de S-F en rêvent depuis des décennies : la téléportation ! Une découverte de chercheurs de l’université de Nanjing va beaucoup faire parler d’elle dans le milieu de la physique quantique.
Bon ne nous emballons pas encore cependant, “l’Enterprise” est tout de même encore loin !
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La téléportation quantique, ce n’est pas “que” de la science-fiction avec cette découverte chinoise
En physique quantique, téléporter un qubit, ce n’est pas envoyer un objet d’un point A à un point B comme dans Star Trek (malheureusement). On parle ici de transférer l’état quantique d’une particule vers une autre, à distance, sans passer par un signal classique.
Le principe repose sur l’intrication quantique : deux particules, dites intriquées, voient leur état intimement lié. Modifier l’une, c’est instantanément affecter l’autre, peu importe la distance. Ce phénomène contre-intuitif est aujourd’hui exploité pour transmettre de l’information quantique, de manière invisible et impossible à intercepter.
Une expérience dans la bande télécom, enfin
Jusqu’ici, les démonstrations de téléportation quantique utilisaient souvent des longueurs d’onde exotiques, peu compatibles avec les réseaux de télécommunication actuels. Cette fois, les chercheurs chinois ont joué dans la cour des grands : ils ont utilisé des photons à 1 550 nanomètres, soit la longueur d’onde standard des fibres optiques commerciales.
Leur cible : une mémoire quantique solide, basée sur des ions d’erbium piégés dans un cristal. C’est la première fois qu’un état quantique de photon dans cette bande télécom est stocké avec succès dans un support physique stable.
Traduction : c’est la base d’un réseau quantique réellement compatible avec internet !
Un montage expérimental en cinq modules synchronisés
Le système déployé par l’équipe du professeur Xiao-Song Ma s’articule autour de cinq composants essentiels :
• Préparation de l’état du photon d’entrée
• Source de photons intriqués, gravée sur une puce photonique
• Module de mesure de Bell, cœur du protocole de téléportation
• Mémoire quantique à ions d’erbium
• Stabilisation de la fréquence, via une cavité Fabry-Pérot et une technique de verrouillage PDH (Pound-Drever-Hall)
Le tout est entièrement compatible avec les fibres optiques standards, ce qui évite les pertes dues à des conversions de fréquence.
Une mémoire quantique pour relier les points du futur Internet
Dans un réseau quantique, il ne suffit pas d’envoyer des qubits. Il faut aussi les stocker temporairement, en attendant que chaque segment du réseau établisse son lien d’intrication. C’est là qu’interviennent les répéteurs quantiques, appuyés sur des mémoires quantiques locales.
Le défi : conserver l’état quantique sans le dégrader. Les ions d’erbium sont prometteurs, car ils absorbent précisément dans la bande télécom. Encore fallait-il prouver qu’ils pouvaient effectivement piéger un qubit photonique et le restituer avec fiabilité. C’est désormais chose faite.
Un système prêt à évoluer pour durer plus longtemps
Actuellement, la durée de stockage d’un état quantique dans ce système reste limitée à quelques millisecondes. L’objectif est de l’étendre à plusieurs secondes, voire minutes, ce qui permettrait un maillage plus étendu du réseau.
Autre enjeu : améliorer l’efficacité de transfert entre le photon et la mémoire. Les photons sont des créatures agitées. Ils filent à 300 000 kilomètres par seconde et interagir avec eux sans les perturber est un art délicat.
Une percée qui repositionne la Chine dans la course à l’Internet quantique
Cette démonstration place la Chine en tête d’une course mondiale : celle du réseau quantique universel. Un système dans lequel les données ne seraient plus seulement chiffrées, mais physiquement impossibles à intercepter.
C’est aussi une réponse directe aux travaux menés aux États-Unis, en Europe ou en Australie, souvent limités par des problèmes d’intégration avec les réseaux en place. Ici, tout est plug-and-play avec les fibres optiques existantes, qui courent déjà sur des millions de kilomètres à travers la planète.
La publication dans Physical Review Letters détaille chaque étape de cette téléportation réussie, qui mêle photonique intégrée, mémoire dopée aux terres rares, et contrôle de fréquence au nanomètre près. Une prouesse technologique, réalisée sans aucun artifice spectral, avec des composants prêts à l’emploi.
La science-fiction, elle, peut repasser par la case réalité.
Source :
Quantum Teleportation from Telecom Photons to Erbium-Ion Ensembles
Yu-Yang An, Qian He, Wenyi Xue, Ming-Hao Jiang, Chengdong Yang, Yan-Qing Lu, Shining Zhu, and Xiao-Song Ma
Phys. Rev. Lett. 135, 010804 – Publié le 2 juillet 2025
DOI: https://doi.org/10.1103/3wh8-2gh1