Sous la glace, le piège : quand l’Antarctique se vide par en dessous.
L’Antarctique donne l’impression d’un mastodonte immobile… Et pourtant, quelle activité ! On ne vous reparlera pas ici des chaînes de volcans dont nous vous avions déjà parlé (le lien est juste en dessous), ni de tremblements de terre qui parcourent de temps en temps ce continent gelé mais de lacs souterrains qui lui mènent la vie dure !
Lire aussi :
- Un réseau de 100 volcans actifs sous les glaces de l’Antarctique pourrait rentrer en éruption avec la fonte des neiges
- Ce navire britannique a coûté 260 millions d’euros mais c’est un des seuls au monde à être capable de braver l’hiver antarctique pour faire progresser la science
Une catastrophe invisible sous la glace de l’Antarctique détectée depuis l’espace
Tout commence dans le silence blanc d’un continent qui n’a pas de ville, pas d’arbre, pas d’oiseaux qui chantent. Un désert gelé. L’un des endroits les plus inaccessibles au monde. Pourtant, c’est là, à plusieurs kilomètres de profondeur, que se joue une partie du futur du niveau des océans.
On est en 2013. Les scientifiques scrutent les données venues du satellite CryoSat de l’Agence spatiale européenne (ESA). Surprise : une baisse brutale de l’altitude de la glace au-dessus du glacier Thwaites, un monstre de glace de la taille du Royaume-Uni.
Que s’est-il passé ? En réalité, sept lacs souterrains viennent de se vider d’un coup, libérant 7 kilomètres cubes d’eau douce (soit 7 milliards de tonnes) dans l’océan. Pour donner un ordre d’idée, c’est l’équivalent de la totalité du Loch Ness, mais injecté sous la glace, à plus de 2 000 mètres de profondeur, sans une seule éclaboussure visible à la surface.
Conséquence immédiate : la plateforme de glace en aval commence à fondre plus vite, les vitesses d’écoulement de la glace doublent, une étendue d’eau libre apparaît dans la banquise, une “polynya”, et le glacier se met à reculer.
La France prépare une offensive scientifique dans les glaces
Sous les pieds du glacier, un réseau fantôme
On pensait que ce genre de phénomène était rarissime. Raté. En fait, tout un réseau de lacs et de canaux souterrains parcourt l’Antarctique, totalement invisible à l’œil nu. C’est un peu comme si la glace flottait sur une plomberie secrète, faite de poches d’eau qui peuvent se remplir et se vider selon des rythmes que l’on ne maîtrise pas encore.
Noel Gourmelen, chercheur à l’université d’Édimbourg, explique que ces lacs se forment lentement, parfois pendant des années. Et puis, soudainement, ils cèdent, comme une digue invisible. Ce sont des milliers de milliards de litres d’eau qui se mettent en mouvement. Et comme cette eau douce est plus légère que l’eau salée de l’océan, elle fait remonter l’eau chaude des profondeurs vers la base des glaciers, provoquant un dégivrage accéléré… par en dessous.

Une pente traîtresse sous le glacier
Il y a un autre détail qui aggrave tout ça. Le socle rocheux sur lequel repose la glace s’incline vers l’intérieur du continent. Autrement dit, une fois que la glace commence à reculer, elle glisse sur une pente descendante. Ce mécanisme, bien connu des glaciologues, est l’un des scénarios les plus redoutés : celui d’un emballement.
Imaginez un glaçon posé sur une planche inclinée. Si vous l’arrosez d’un peu d’eau tiède, il fond… et glisse plus vite. Dans le cas du Thwaites, on parle d’un glaçon épais de plus de 1 000 mètres, qui pourrait à lui seul faire monter le niveau de la mer de plus de 60 centimètres.
CryoSat : l’œil radar qui voit l’invisible
Heureusement, l’ESA (Agence spatiale européenne) a équipé CryoSat d’un altimètre radar capable de détecter les variations d’altitude de la glace au millimètre près. Même les mouvements provoqués par un lac caché à 2 kilomètres sous la surface laissent une signature observable depuis l’espace.
Ces données, recoupées avec des modèles numériques de flux glaciaire et de courants marins, permettent de reconstruire le puzzle de ces événements sous-glaciaires. C’est le travail de programmes comme FutureEO 4D Antarctica, qui mélange images satellites, physique des fluides et modélisation climatique.
Ce n’est pas juste de la glace qui fond
En réalité ce sont les fondations mêmes de l’Antarctique qui se modifient, qui se liquéfient. Les plates-formes de glace, ces gigantesques radeaux gelés, perdent leur rôle de “freins” pour les glaciers. Une fois affaiblies, elles laissent filer la glace continentale vers l’océan comme une barrière cassée.
Le plus troublant, c’est que ces événements peuvent survenir sans prévenir, sans tremblement, sans fissure visible. Et ils peuvent relancer des courants océaniques ou provoquer l’ouverture d’étendues d’eau libre en plein hiver austral.
Et après CryoSat ?
L’Europe prépare déjà la relève. Trois missions sont dans les tuyaux :
- CRISTAL, qui poursuivra la mesure de l’épaisseur des glaces
- ROSE-L, un satellite radar haute résolution pour suivre les mouvements de terrain
- CIMR, qui mesurera la température et la salinité des eaux polaires
Ces outils permettront de mieux anticiper les futurs effondrements glaciaires, de comprendre les liens entre glace et océan, et de prédire l’impact sur le niveau des mers à l’échelle planétaire.
Source : https://www.esa.int/Applications/Observing_the_Earth/FutureEO/CryoSat/How_hidden_lakes_threaten_Antarctic_Ice_Sheet_stability