La Russie reprend le flambeau d’un projet énergétique que la France avait abandonné en 1997 et sur lequel elle était en avance sur le reste du monde

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BREST-OD-300 : quand la Russie tente vraiment de recycler ses déchets nucléaires.

Un chantier nucléaire en plein cœur de la Sibérie, des grues qui déposent des pièces de 15 mètres de haut dans une structure futuriste, et un objectif qui semble presque trop beau pour être vrai : fabriquer de l’électricité à partir des déchets radioactifs qu’on ne sait plus où stocker. C’est le projet de la Russie avec le réacteur BREST-OD-300 qui semble en bonne voie de réalisation si on en croit les dernières photos communiquées par le géant de l’énergie atomique russe Rosatom.

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Le BREST-OD-300, un réacteur russe qui change les règles du nucléaire

Le BREST-OD-300 est un réacteur d’un nouveau genre puisqu’il appartient à la génération IV, une classification définie en 2001 par le Forum international Génération IV (GIF), et qui regroupe des concepts comme les réacteurs à sels fondus, les réacteurs à gaz rapides refroidis à l’hélium, ou encore les réacteurs à spectre rapide refroidis au sodium. Ces réacteurs visent à améliorer la sûreté, réduire la production de déchets, optimiser l’utilisation du combustible et résister à la prolifération nucléaire, tout en étant économiquement compétitifs sur le long terme.

Dans le cas présent nous parlons d’un réacteur rapide refroidi au plomb qui promet plus de rendement, moins de risques et surtout… une autre logique de combustible puisqu’en lieu et place de l’uranium, le réacteur absorberait du plutonium, c’est-à-dire les restes radioactifs d’autres centrales, que l’on considère aujourd’hui comme des déchets.

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Un chantier titanesque pour une idée très simple : ne plus jeter

À Volgodonsk et à Saint-Pétersbourg, les ingénieurs de Rosatom ont fini de fabriquer plusieurs composants clés : le barillet du cœur, les cavités latérales pour les générateurs de vapeur, et les enceintes internes. Ces morceaux font 15 mètres de haut, 8 mètres de large, et chacun est usiné dans un acier spécial capable de tenir 600 °C sans broncher. L’ensemble a dû être emballé dans 700 tonnes de structures de transport pour rejoindre Seversk.

C’est massif, c’est complexe, mais l’objectif reste limpide : transformer ce que l’on stocke dans des fûts depuis 50 ans en une ressource énergétique stable et pilotable. Et ça, dans un monde qui peine à stocker ses déchets nucléaires sans polémique, ça mérite l’attention.

Un site unique, tout est sur place

Le plus fort dans ce projet, c’est que tout est concentré sur un seul site. À Seversk, on construit le réacteur, l’usine qui fabriquera le combustible à base de plutonium, et l’unité qui le retraitera après usage. Ce cycle fermé permet de limiter les transports de matières radioactives, réduire les déchets finaux, et maximiser l’utilisation de l’actif le plus mal aimé du nucléaire : le plutonium.

En somme, on fait ici ce que le projet français Superphénix voulait faire dans les années 90 (voir plus bas), mais avec des matériaux modernes, des systèmes de sécurité revus, et un budget russe taillé pour l’export.

Le prototype du BREST-OD-300 devrait fournir 300 MW.
Le prototype du BREST-OD-300 devrait fournir 300 MW.

Une démonstration technologique… et un avertissement

Officiellement, le BREST-OD-300 est un démonstrateur. Il ne sera pas connecté tout de suite au réseau national russe. On veut d’abord voir si la machine tient ses promesses. Mais si c’est le cas, Rosatom prévoit déjà un clone géant : le BR-1200, quatre fois plus puissant, pensé pour alimenter des villes entières.

Disons-le clairement : si les Russes réussissent à faire fonctionner durablement ce type de réacteur, ils prendront une longueur d’avance considérable. Non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan géopolitique. Le nucléaire de génération IV, ce n’est pas que de l’énergie, c’est une carte de souveraineté.

Le français newcleo joue également la carte du réacteur rapide refroidi au plomb mais version SMR

Pour les plus fidèles lecteurs de Média24.fr, ce nom évoquera quelque chose : la France aussi commence à miser sur la technologie des réacteurs rapides refroidis au plomb, par le biais notamment d’une jeune mais prometteuse entreprise : newcleo. En revanche la comparaison s’arrête ici entre la jeune pousse franco-italienne et le mastodonte russe Rosatom.

En effet, d’un côté, newcleo développe un modèle modulaire, plus léger, pensé pour être installé rapidement dans plusieurs pays avec des petits réacteurs de 200 MW, standardisables, fabriqués en série, capables de consommer du plutonium ou du combustible usé. Une ambition industrielle agile, mobile, mais fortement dépendante des décisions politiques nationales, comme l’a illustré son retrait du Royaume-Uni faute de feu vert pour utiliser les stocks de plutonium.

En face, la Russie construit un mastodonte : un prototype de 300 MW, centralisé, intégré dans une usine nucléaire complète à Seversk, avec tout le cycle du combustible sur place, de la fabrication à la régénération. Pas de négociation à mener avec un État étranger pour obtenir du plutonium : Rosatom gère tout en interne. Surtout, le réacteur est déjà en construction, avec des pièces livrées, des structures en place, et une montée en puissance réelle.

Critère BREST-OD-300 (Rosatom) newcleo (France/Italie)
Type de réacteur Réacteur rapide refroidi au plomb (LFR) Réacteur modulaire rapide refroidi au plomb (LFR)
Puissance 300 MW (prototype), 1,2 GW pour le BR-1200 200 MW par module
Cycle du combustible Fermé, intégré sur site Fermé, mais externalisé et dépendant des États
Combustible Plutonium + uranium (combustible nitruré) Plutonium ou déchets recyclés
Avancement en 2025 Composants livrés, construction avancée Études en cours, déploiement après 2030
Implantation Site unique en Sibérie (Seversk) France, Slovaquie, Lituanie (projets envisagés)
Stratégie industrielle Centralisation, pilotage étatique Modularité, financement privé et partenariats
Accès au plutonium Direct et souverain Soumis à autorisation des États

Deux philosophies du nucléaire avancé se dessinent ici : une approche monumentale et verticale, où l’État contrôle toute la chaîne, et une approche modulaire, horizontale, plus dépendante des écosystèmes politiques et industriels. Dans les deux cas, la volonté de fermer le cycle du combustible est au cœur de la démarche. Mais la Russie semble avoir pris une longueur d’avance… à l’ancienne : en construisant, pendant que les autres réfléchissent.

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Superphénix, le rêve français enterré trop tôt ?

Difficile de parler de réacteurs rapides sans évoquer Superphénix, ce colosse nucléaire français installé à Creys-Malville, dans l’Isère. Mis en service en 1986, ce réacteur rapide de 1 200 MW, refroidi non pas au plomb mais au sodium liquide, devait boucler le cycle du combustible avant même que le terme devienne à la mode. Son principe ? Utiliser du plutonium issu des déchets des autres réacteurs pour produire de l’électricité, tout en générant plus de combustible qu’il n’en consommait. Sur le papier, une usine à recycler l’atome.

Mais dans les faits, le projet a accumulé les problèmes techniques, les arrêts prolongés, les controverses politiques et les oppositions locales. En 1997, Lionel Jospin met fin à l’aventure, alors que le réacteur commence à peine à fonctionner correctement. Trop cher, trop complexe, trop mal compris. Aujourd’hui, vu depuis la Sibérie ou depuis le siège de newcleo, Superphénix ressemble à un coup d’avance que la France aurait joué… puis abandonné.

Avec le retour en grâce des réacteurs rapides, la question revient : et si on avait eu raison trop tôt ?

Source : Rosatom

 

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Guillaume AIGRON
Guillaume AIGRON
Très curieux et tourné vers l'économie, la science et les nouvelles technologies, (particulièrement ce qui touche à l'énergie et les entreprises françaises) je vous propose de de découvrir les dernières actualités autour de cette passion

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