Des séismes qui alimenteraient la vie souterraine ? La Terre cache une centrale électrique microbienne.
Une étude chinoise vient de dévoiler un mécanisme fascinant qui n’a pas fini de faire parler de lui : les séismes pourraient dans certains cas produire l’énergie nécessaire à la survie de microbes profondément enfouis. En clair, la Terre se comporterait comme une pile, et c’est la roche elle-même qui la rechargerait.
Lire aussi :
- 500 millions d’années qu’elle attendait sous l’Antarctique mais cette fois-ci les scientifiques en sont persuadés : il existe une autre chaine de montagnes
- Ce colosse de 2 507 mètres en Alaska vient de donner la clé du mystère de l’explosion du plus sournois des volcans : le type furtif
Une fracture, de l’eau, et la vie se recharge en énergie
L’équipe de l’Institut de géochimie de Canton a voulu comprendre comment la vie pouvait subsister là où le soleil ne pénètre jamais, là où la température et la pression sont extrêmes, et où les nutriments sont rares. Pour cela, elle a simulé en laboratoire ce qui se passe lorsqu’un séisme fracture la roche, en particulier le quartz, un minéral omniprésent.
Deux types de ruptures ont été reproduits : les fractures par extension, qui ouvrent la roche comme une plaie, et les fractures par cisaillement, où la roche est broyée lentement, dans l’eau, au rythme des mouvements tectoniques.
De cette manière, l’eau piégée dans les failles est littéralement cassée par la violence mécanique. Les molécules explosent en morceaux instables, des radicaux libres, qui se recombinent ensuite en hydrogène (H₂) et peroxyde d’hydrogène (H₂O₂). Deux composés très énergétiques.
Une microcentrale souterraine autonome
Ces molécules ne restent pas là à flotter. Elles créent un déséquilibre chimique, une tension naturelle entre zones oxydantes et réductrices. Un peu comme les pôles d’une batterie. Les microbes présents dans les failles savent en tirer parti. Ils exploitent ce “gradient redox” comme une source d’énergie continue.
Les chercheurs ont mesuré que l’hydrogène produit par ces failles peut être jusqu’à 100 000 fois supérieur à celui généré par les autres processus connus, comme la serpentinisation (réaction entre roche ultrabasique et eau) ou la radiolyse (cassure de l’eau par rayonnement).
Autrement dit : un séisme active une centrale biochimique invisible, au service d’une vie microscopique, discrète mais active, parfois depuis des millions d’années.
Le rôle clé du fer, grand chef d’orchestre chimique
Dans ce mécanisme, le fer est une pièce maîtresse. Présent dans de nombreuses roches et dans les eaux souterraines, il oscille entre deux états : le fer ferreux (Fe²⁺) et le fer ferrique (Fe³⁺). Cette bascule entre formes oxydées et réduites permet de transférer les électrons, l’unité de base de toute réaction énergétique.
Ce cycle du fer influence à son tour le comportement d’autres éléments comme le carbone, l’azote ou le soufre, tous essentiels à la chimie du vivant. Ce réseau de réactions en chaîne forme un véritable “réseau électrique” naturel, entretenu uniquement par la mécanique de la croûte terrestre.
Une vie sans lumière, mais pas sans énergie
On croyait encore récemment que la vie profonde se nourrissait uniquement de l’hydrogène issu de réactions minérales ou radioactives. Ce nouveau modèle montre que la tectonique elle-même, via les failles et séismes, peut produire des molécules énergétiques en continu.
Le système fonctionne à l’échelle de micro-écosystèmes, invisibles à l’œil nu mais essentiels pour comprendre l’histoire de la vie sur Terre. Ces poches souterraines pourraient même être les premières niches où la vie est apparue, avant la lumière, avant l’oxygène.
Des implications jusque sur Mars… et sous la glace d’Europe
Cette découverte ne se limite pas à notre planète. Les fractures tectoniques existent aussi ailleurs. Sur Mars, dans les failles des anciens lits de rivières. Sur Europe, la lune de Jupiter, sous sa croûte glacée qui recouvre un océan d’eau liquide. Si les mêmes mécanismes s’y produisent, alors des microbes pourraient y survivre sans lumière, alimentés par l’énergie géologique seule.
C’est un basculement de perspective. La vie ne dépend peut-être pas du soleil. Elle peut se contenter de la mécanique brute des planètes, des chocs, des fissures et des minéraux.
L’étude, publiée dans Science Advances, rappelle à quel point notre planète est encore pleine de coins inconnus, habités sans que personne ne le sache. Et que l’énergie, comme la vie, peut jaillir là où on s’y attend le moins.
Source :
Crustal faulting drives biological redox cycling in the deep subsurface (en français : “Les failles crustales alimentent les cycles rédox biologiques dans la subsurface profonde”).
Xiao Wu et al.
Sci. Adv.11,eadx5372(2025).DOI:10.1126/sciadv.adx5372
Image : Petites bulles sur l’eau colorée (Freepik)