Denver veut brancher son aéroport sur un petit réacteur nucléaire.
Le maire Mike Johnston et le directeur général Phil Washington l’ont annoncé en conférence de presse : Denver veut devenir “l’aéroport le plus vert du monde”. Et pour y parvenir, il ne se contentera pas de panneaux solaires ou d’éoliennes. L’équipe dirigeante veut explorer une option qui, il y a quelques années aurait provoquer, un tollé général, via un petit réacteur modulaire ou SMR (Small Modular Reactor en anglais).
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L’aéroport de Denver, un mastodonte qui consomme autant qu’une ville
Pour comprendre, il faut imaginer ce que représente un aéroport comme celui de Denver. C’est l’un des plus grands au monde, un monstre de béton et de verre qui ne dort jamais. Éclairage permanent, tapis roulants, trams intérieurs, systèmes de climatisation, alimentation électrique des avions au sol… Sa consommation rivalise avec celle d’une ville moyenne.
En 2045, les prévisions annoncent plus de 120 millions de passagers par an. Les responsables savent que le réseau électrique local, même renforcé par les énergies renouvelables, pourrait avoir du mal à suivre. Le nucléaire, lui, offre un atout rare : une production stable, 24 heures sur 24, qu’il pleuve, qu’il neige ou que le vent tombe.
Petit, mais puissant
Un SMR, c’est l’opposé du cliché de la centrale nucléaire massive. Ce sont des modules compacts, conçus pour être assemblés en usine et livrés clés en main. Leur puissance varie généralement entre 50 et 300 MW, assez pour alimenter l’aéroport et bien plus encore.
Ils ont aussi un autre atout : des systèmes de sécurité passifs. En cas de problème, le réacteur peut se mettre en arrêt et se refroidir sans intervention humaine immédiate. Et comme ils sont modulaires, on peut en ajouter ou en retirer selon les besoins.
Une étude pour tout mettre à plat
Pour l’instant, rien n’est construit. L’aéroport lance une étude de faisabilité d’un coût maximum de 1,25 million de dollars (environ 1,15 million d’euros) qui durera entre 6 et 12 mois. Les questions sont claires :
- Quel type de SMR installer ?
- Combien cela coûterait-il vraiment ?
- Qui financerait le projet ?
- Quels risques, quelles contraintes réglementaires ?
- Comment intégrer un tel dispositif dans un lieu fréquenté par des millions de voyageurs ?
L’idée est de disposer d’un rapport complet pour décider ensuite si Denver se lance ou non dans l’aventure.
Entre audace et prudence
Phil Washington le reconnaît : la technologie SMR est encore jeune, aucun n’est encore opérationnel aux États-Unis. Les délais, les normes de sûreté et les coûts peuvent évoluer. Et il faudra convaincre non seulement les autorités, mais aussi les passagers, pas toujours rassurés à l’idée d’avoir un réacteur nucléaire à quelques centaines de mètres des pistes.
Pour d’autres, c’est au contraire un symbole fort : celui d’un aéroport qui prend les devants pour garantir son autonomie énergétique et réduire ses émissions, là où la plupart se contentent de compenser leurs vols avec des arbres plantés à l’autre bout du monde.
Les SMR, nouvelle ruée énergétique mondiale
L’idée des Small Modular Reactors ne séduit pas que Denver. Aux quatre coins du globe, États et industriels s’y intéressent de près. Les États-Unis, avec des acteurs comme NuScale Power, TerraPower (soutenue par Bill Gates) ou X-energy, testent déjà plusieurs concepts et espèrent un déploiement commercial avant la fin de la décennie. Au Canada, Ontario Power Generation prévoit d’installer un SMR de 300 MW dès 2029 sur le site de Darlington, près de Toronto. En Europe, le Royaume-Uni mise sur le savoir-faire de Rolls-Royce SMR, avec l’ambition de construire une flotte de réacteurs modulaires pour remplacer progressivement ses centrales vieillissantes. Même la France s’est lancée avec le programme Nuward, porté par EDF, le CEA, TechnicAtome et Naval Group, pour proposer un SMR exportable et conforme aux standards de sûreté européens. Comment ne pas parler également de newcleo, une start-up franco-italien qui développe des SMR de quatrième génération utilisant des combustibles recyclés, avec l’ambition de réduire drastiquement les déchets nucléaires à long terme. En Asie, la Chine a déjà mis en service un premier SMR flottant, tandis que le Japon et la Corée du Sud explorent la piste pour sécuriser leur production d’électricité tout en réduisant leurs émissions. Partout, la promesse est la même : une énergie décarbonée, stable, adaptable et plus rapide à déployer que les centrales classiques, dans un contexte où chaque mégawatt compte.
Un précédent dans l’histoire aérienne
Si Denver franchit le pas, il deviendra le premier aéroport au monde à héberger un réacteur nucléaire sur son site. Un mélange improbable d’aviation et d’atome, dans un décor de hautes plaines balayées par le vent et bordées par les Rocheuses.
Reste à savoir si, dans quelques années, les annonces de vols vers Paris, Tokyo ou Sydney seront accompagnées d’un discret rappel : “l’électricité qui alimente cet aéroport provient d’un petit cœur nucléaire, quelque part derrière ces pistes.”
Classement des plus grands aéroports du monde en 2024 en millions de passagers
Rang | Aéroport | Code IATA | Ville | Pays | Trafic passagers (millions) |
---|---|---|---|---|---|
1 | Aéroport Hartsfield–Jackson | ATL | Atlanta | États-Unis | 104,7 |
2 | Aéroport international de Dubaï | DXB | Dubaï | Émirats arabes unis | 87,0 |
3 | Aéroport international de Dallas/Fort Worth | DFW | Dallas | États-Unis | 81,8 |
4 | Aéroport international de Denver | DEN | Denver | États-Unis | 77,8 |
5 | Aéroport international de Tokyo-Haneda | HND | Tokyo | Japon | 75,2 |
6 | Aéroport international de Londres-Heathrow | LHR | Londres | Royaume-Uni | 74,0 |
7 | Aéroport international d’Istanbul | IST | Istanbul | Turquie | 72,0 |
8 | Aéroport international de Los Angeles | LAX | Los Angeles | États-Unis | 71,2 |
9 | Aéroport de Shenzhen Bao’an | SZX | Shenzhen | Chine | 70,5 |
10 | Aéroport de Guangzhou Baiyun | CAN | Guangzhou | Chine | 69,8 |
Rapport “World Airport Traffic Dataset 2024” de l’ACI (édition avril 2025)
Source : https://www.flydenver.com/press-release/den-to-pursue-more-alternative-energy-options-for-future-needs
Image : Aéroport international de Denver, terminal principal, tôt le matin, depuis l’hôtel Westin (13e étage).