La plus petite vidéo de chat du monde… faite d’atomes.
Elle ne dure que 44 secondes et met en scène un chat. Jusqu’ici, pas de quoi fouetter ce dernier. Sauf que cette vidéo est une grande première mondiale puisqu’elle est composée d’atomes de rubidium, maintenus un à un en suspension par des lasers.
C’est une prouesse technologique publiée dans Physical Review Letters, et une avancée vers les ordinateurs quantiques du futur.
Derrière ce mini film, un chat de Schrödinger en pixels atomiques, se cache une révolution dans la manière de manipuler la matière au niveau microscopique.
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Cette vidéo a été animée atome par atome et c’est une grande première dans le monde
L’animation, réalisée à l’Université des sciences et technologies de Chine à Shanghai, montre des images reconstituées à partir de 2 024 atomes de rubidium. Disposés en grille dans un carré de 230 micromètres de large (soit deux fois l’épaisseur d’un cheveu), ces points lumineux dessinent une version stylisée du célèbre paradoxe du chat de Schrödinger : l’animal est à la fois mort et vivant… jusqu’à ce que l’observateur ouvre la boîte.
Chaque point jaune représente un atome unique, dont la position a été calculée, déplacée, puis contrôlée par fluorescence, c’est-à-dire en détectant la lumière émise lorsqu’un laser l’excite. Pour le spectateur humain, les images ont été ralenties 33 fois pour être visibles. En temps réel, tout se joue en 60 millisecondes.
Des pinces laser et de l’intelligence artificielle
Comment déplacer des atomes un par un, avec une précision extrême, dans une scène microscopique, sans erreur ? Grâce à des pinces optiques. Ces faisceaux lasers focalisés agissent comme des mini-tracteurs. Ils attirent et déplacent les atomes sans contact, en exploitant leur interaction avec la lumière.
Pour piloter ces mouvements, les chercheurs ont utilisé un modèle d’intelligence artificielle. Celui-ci détermine, en temps réel, la meilleure configuration de lasers pour déplacer tous les atomes en même temps, sans collisions, ni ratés.
Le tout repose sur un système de calcul holographique et un modulateur à haute fréquence qui agit comme un chef d’orchestre, ordonnant à chaque faisceau laser son rôle dans la chorégraphie atomique. Résultat : une grille d’atomes parfaite, sans défaut, que l’on peut ensuite configurer selon les besoins de l’expérience.
L’épine dans le pied des ordinateurs quantiques
Jusqu’à récemment, l’assemblage de réseaux d’atomes neutres pour les ordinateurs quantiques était un cauchemar logistique. Il fallait déplacer chaque atome un par un. Non seulement cela prenait du temps, mais cela limitait la taille et la complexité des systèmes.
Avec cette nouvelle méthode, ce goulot d’étranglement est écarté. La durée de réarrangement reste constante, quel que soit le nombre d’atomes à manipuler. En clair, on peut imaginer demain aligner des dizaines de milliers d’atomes pour former de vastes processeurs quantiques, sans rallonger les temps d’assemblage.
Et ce n’est pas juste une démonstration de force. C’est un outil de production. Une sorte de “machine à écrire atomique”, capable de bâtir à la volée des architectures quantiques sur mesure.
Des chiffres vertigineux pour des particules fragiles
Dans le monde quantique, les qubits remplacent les bits classiques. Un bit vaut soit 0 soit 1. Un qubit, lui, peut être 0, 1 ou un mélange des deux. Cette indétermination permet d’explorer plusieurs solutions à un problème simultanément. Mais cela a un coût : les qubits sont d’une fragilité extrême. La moindre perturbation extérieure peut les faire s’effondrer.
Pour espérer construire des ordinateurs quantiques viables, il faut détecter les erreurs et les corriger en temps réel, ce que les physiciens appellent la quantum error correction. Et cela nécessite des systèmes très précis.
Les performances du dispositif sont à la hauteur des exigences :
- 99,97 % de précision pour les opérations sur un seul qubit
- 99,5 % pour les opérations à deux qubits
- 99,92 % de fiabilité dans la détection de l’état d’un qubit
Ces chiffres placent cette technologie dans le haut du panier. Et surtout, elle est reproductible, ce qui en fait un excellent candidat pour l’industrialisation des architectures quantiques.
Du chat à la puce : une vidéo comme manifeste technologique
Le choix du chat de Schrödinger est un clin d’œil à la fois philosophique et technique. D’un côté, cela rappelle que la mécanique quantique est née de paradoxes mentaux. De l’autre, cela montre que ces paradoxes trouvent aujourd’hui une expression physique maîtrisée.
Ce petit film, visible uniquement à travers des instruments de laboratoire, dit quelque chose de fondamental : nous commençons à contrôler l’incontrôlable. À disposer de la matière à l’échelle atomique comme on dispose des pixels sur un écran. Non pas un rêve futuriste, mais une réalité accélérée par le croisement entre laser, calcul, IA et ingénierie quantique.
Quelques ordres de grandeur :
Élément | Valeur |
Nombre d’atomes utilisés | 2 024 |
Surface totale de la grille | 230 micromètres (0,23 millimètre) |
Temps réel de déplacement des atomes | 60 millisecondes |
Taux de réussite des opérations | Jusqu’à 99,97 % |
Facteur de ralentissement pour le film | 33x |
Applications principales | Ordinateurs quantiques, correction d’erreurs |
Source :
AI-Enabled Parallel Assembly of Thousands of Defect-Free Neutral Atom Arrays (en français : “Assemblage parallèle assisté par IA de milliers de réseaux d’atomes neutres sans défaut”)
Rui Lin, Han-Sen Zhong, You Li, Zhang-Rui Zhao, Le-Tian Zheng, Tai-Ran Hu, Hong-Ming Wu, Zhan Wu, Wei-Jie Ma.
Phys. Rev. Lett. 135, 060602 – Pubiée le 8 aout 2025
DOI: https://doi.org/10.1103/2ym8-vs82