Le mystère du plutonium enfin percé ?
Le delta-plutonium est une forme très spéciale de l’un des éléments les plus capricieux du tableau périodique puisqu’il est connu pour se rétracter sous l’effet de la chaleur !
Là où tout matériau normal voit ses atomes s’agiter, prendre leurs aises, et gonfler comme un soufflé au four, ce plutonium là choisit de faire exactement l’inverse. Il se resserre, comme s’il prenait froid, alors qu’il monte en température.
Incohérent ? Pas tant que ça, désormais. Car une équipe américaine vient enfin de mettre le doigt sur l’explication.
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Un nouveau modèle thermodynamique qui remet les pendules à l’heure atomique
Pour rappel, le plutonium est un métal radioactif artificiel principalement obtenu dans les réacteurs nucléaires par capture de neutrons par l’uranium 238. Il se présente sous forme métallique gris argenté, s’oxyde rapidement à l’air et possède plusieurs isotopes, dont le plus utilisé est le plutonium 239, fissile. Il dégage beaucoup de chaleur même sans réaction nucléaire, à cause de sa radioactivité (ce qui le rend donc particulièrement dangereux pour les êtres vivants). Il est utilisé dans les armes nucléaires, les réacteurs et certaines sources d’énergie pour sondes spatiales.
Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui et moins sa dangerosité que le fait que le plutonium est particulièrement instable sur le plan cristallographique : il possède six allotropes (formes cristallines) à pression atmosphérique, chacun avec des propriétés physiques bien distinctes. Ce comportement le rend difficile à usiner et à manipuler, notamment en milieu industriel ou militaire.
Voici un aperçu de ces phases, désignées de α à ε :
- α (alpha) : forme stable à température ambiante, dense, dure et cassante, avec une structure monoclinique.
- β (bêta) : apparaît autour de 123 °C, plus ductile que l’alpha, mais toujours fragile.
- γ (gamma) : vers 206 °C, structure orthorhombique, se dilate fortement, ce qui rend cette phase instable mécaniquement.
- δ (delta) : autour de 310 °C, structure cubique à faces centrées (CFC), beaucoup plus ductile et malléable, d’où son intérêt industriel. Elle peut être stabilisée à température ambiante par l’ajout d’éléments comme le gallium ou l’aluminium.
- δ’ (delta prime) : très proche de la phase δ, mais légèrement différente par sa structure cristalline.
- ε (epsilon) : phase à haute température, au-delà de 450 °C, avec une structure cubique simple.
Ces transitions de phase s’accompagnent de variations volumétriques importantes (jusqu’à 25 % entre l’α et la δ), ce qui complique le stockage du plutonium sous forme métallique. C’est l’un des éléments les plus capricieux de tout le tableau périodique, à la fois fascinant pour les chercheurs et redouté pour son comportement imprévisible.
L’expérience du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL)
Pour mieux comprendre le comportement du plutonium, les chercheurs du Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL), en Californie, ont dû plonger dans les tréfonds de la physique de la matière. Pas question ici de simple chaleur ou de dilatation classique. Le coupable se cache ailleurs : dans les états magnétiques fluctuants du métal.
Ces scientifiques ont donc mis au point un nouveau modèle d’énergie libre, capable de prendre en compte les variations du magnétisme avec la température. En clair, ils ont ajouté dans leurs équations ce que le métal ressent, magnétiquement parlant, quand on le chauffe.
De cette manière, le modèle colle aux observations. Le plutonium contracte bien son volume, comme s’il se crispait et c’est donc la manifestation directe de son instabilité magnétique.
Ce que les modèles ne voyaient pas… jusqu’à maintenant
Jusqu’ici, les modèles thermodynamiques traditionnels n’intégraient pas la dynamique interne du magnétisme. Or c’est précisément là que tout se joue. En chauffant, le delta-plutonium ne change pas seulement de forme. Il modifie la façon dont ses électrons interagissent. C’est un peu comme si, en été, votre maison se mettait à rétrécir parce que les murs décident spontanément de réorganiser leurs briques.
Grâce à ces travaux, on comprend enfin que cette contraction n’est pas une anomalie. C’est une signature magnétique, un indicateur de ce qui se passe profondément dans l’âme électronique du matériau.
Bien plus qu’un simple métal radioactif
Ce travail ne s’arrête pas au plutonium. Ce modèle pourrait aider à mieux comprendre d’autres matériaux sensibles au magnétisme, comme certains aciers ou alliages de fer, des métaux utilisés dans la construction navale, les centrales nucléaires, voire dans l’étude du noyau terrestre.
Quand la température monte, ces matériaux changent aussi d’état magnétique. Savoir prédire leurs réactions peut donc éviter bien des catastrophes industrielles.
Le modèle pourrait ainsi éclairer des questions bien plus vastes que la simple contraction du plutonium. Il ouvre la voie à une nouvelle génération de simulations, plus fines, plus proches de la réalité, capables d’anticiper des comportements inattendus dans des environnements extrêmes.
À quand un plutonium réaliste, tel qu’il est vraiment utilisé ?
Dans le monde réel, le plutonium n’est jamais pur. Il est truffé de défauts, de microstructures, de grains mal orientés, de polluants résiduels. Tous ces éléments influencent son comportement au quotidien, dans les réacteurs, les armes, les containers d’entreposage.
L’étape suivante sera d’intégrer ces imperfections dans les calculs. Car un matériau parfait, ça n’existe pas. Ce sont ses défauts qui en font la vraie complexité.
L’objectif est clair : améliorer la prédiction des contraintes internes, des fissures potentielles, ou des déformations lentes qui pourraient apparaître avec le temps. Et, au passage, rendre le stockage à long terme plus sûr, mieux maîtrisé, mieux anticipé.
Source :
First principles free energy model with dynamic magnetism for δ-plutonium
Per Söderlind, A Landa, L X Benedict, N Goldman, R Q Hood, K E Kweon, E E Moore, A Perron, B Sadigh, C J WuS
Publié le 21 July 2025 dans IOP Science
DOI 10.1088/1361-6633/adedb1
Image :
Cylindre de dioxyde de plutonium 238 luisant sous l’effet de sa propre chaleur de désintégration.