Un vieux dossier rouvert à coups de pioche… et de géopolitique
La Suède aux forêts millénaires, aux lacs clairs comme du cristal a longtemps tourné le dos à l’un des métaux les plus redoutés au monde: l’uranium. En effet depuis 2018, la Suède interdisait toute extraction de cet élément radioactif sur son territoire. Trop risqué pour les rivières, les sols, trop cher à exploiter, et surtout, trop d’alternatives sur le marché mondial. C’était l’époque où l’on croyait encore que le monde serait toujours ouvert et pacifique. Malheureusement… La réalité semble avoir rattrapé le pays scandinave.
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La Suède rouvre ses veines d’uranium : un pari radioactif sur l’indépendance énergétique
Le débuts des années 2020 est passé par là. Les tensions géopolitiques se sont multipliées. L’énergie est redevenu soudainement une affaire de souveraineté.
Le gouvernement suédois, emmené par une majorité de droite, a décidé de remettre les mains dans la terre. Ce 27 août, la ministre de l’Environnement Romina Pourmokhtari l’a dit sans ambages :
“Nous ne voulons pas dépendre de pays avec de mauvaises conditions, des pays qui sont des dictatures”
Le ton est donné. Ce n’est plus seulement une affaire de kilowattheures, c’est une question d’indépendance stratégique.
L’uranium suédois, trésor endormi depuis trop longtemps
Il faut dire que la Suède n’a pas hérité d’un petit gisement. Selon les estimations officielles, près d’un tiers des ressources européennes connues d’uranium dort sous son sol.
Pendant des années, ce potentiel est resté inutilisé. Les Suédois ont préféré importer, discrètement, du Canada, de Namibie, du Kazakhstan ou encore d’Australie. Ça coûte moins cher, et on évite les manifestations locales. Sauf qu’entre-temps, le nucléaire a changé de statut. D’ennemi public numéro un, il est devenu un allié, certes pas sans défaut, mais fiable dans la lutte contre le CO2.
Une consommation électrique qui s’emballe
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Aujourd’hui, la Suède consomme un peu plus de 140 térawattheures d’électricité par an. D’ici 2045, le pays vise les 300 TWh. Le double. C’est ce qu’il faudrait pour décarboner les aciéries, alimenter les batteries géantes, électrifier les trains, les usines, les logements.
Or, dans ce mix énergétique, le nucléaire reste un pilier essentiel. En 2024, six réacteurs répartis sur trois sites (Forsmark, Ringhals, Oskarshamn) ont produit près de 30 % de l’électricité suédoise. Et le gouvernement veut aller plus loin, en construisant de nouveaux réacteurs. Autant dire qu’il va falloir beaucoup de combustible. Et l’uranium, ce n’est pas du bois de chauffage : il faut l’extraire, le concentrer, l’enrichir… avant qu’il devienne la matière première de ces réacteurs qui chauffent sans flamme.
Fini le droit de veto pour les communes
La grande nouveauté, c’est que les communes ne pourront plus dire non. Jusqu’ici, un petit village pouvait bloquer un projet minier, même si les autorités nationales donnaient leur feu vert. Ce temps est révolu. Désormais, l’État reprend la main. Si une entreprise veut prospecter ou creuser pour de l’uranium, elle n’aura plus besoin de l’accord du maire.
Un détail administratif ? Pas vraiment. Car cette disposition change profondément le rapport entre les habitants et les projets industriels. Le dialogue environnemental, parfois rugueux dans les pays nordiques, pourrait bien se tendre encore davantage.
La colère des défenseurs de la nature
Du côté des écologistes, l’annonce passe très mal. La Société suédoise pour la protection de la nature, une ONG influente, a publié un communiqué dès janvier dernier, anticipant ce retour de l’uranium dans l’agenda politique.
“Des terres agricoles de valeur risquent d’être réquisitionnées”, alertent-ils. “L’extraction pourrait polluer les nappes phréatiques, affecter la biodiversité, et aggraver les risques climatiques.”
Les rejets radioactifs, les déchets miniers, les poussières radioactives sont autant de sujets sensibles qui pourraient provoquer des tensions où la question écologique est au premier plan.
Une manœuvre stratégique dans un monde incertain
En creux, cette décision suédoise raconte quelque chose de plus large. L’Europe commence à se rendre compte qu’elle a cédé trop de souveraineté minière. Dans le lithium, les terres rares, le cobalt ou l’uranium, nous dépendons massivement de chaînes d’approvisionnement éloignées, parfois opaques, souvent instables. Et pendant que la Chine, l’Inde ou la Russie sécurisent leurs filières stratégiques, l’Europe tente de rattraper son retard.
La Suède, longtemps symbole des énergies vertes, a choisi de réintégrer sa géologie dans sa stratégie énergétique. C’est un pari. Un pari politique, industriel, environnemental. Il n’est pas sans risque. Mais il a le mérite de remettre les pieds sur terre. Ou plutôt… dans la terre.
Résumé de la décision suédoise :
ÉLÉMENT | DONNÉES |
Interdiction en vigueur depuis | 2018 |
Levée de l’interdiction prévue | 1er janvier 2026 |
Part estimée des ressources européennes d’uranium en Suède | 27 % |
Réacteurs en service | 6 (Forsmark, Ringhals, Oskarshamn) |
Part du nucléaire dans l’électricité (2024) | 29,1 % |
Objectif de consommation en 2045 | 300 TWh |
Fournisseurs actuels d’uranium | Canada, Australie, Kazakhstan, Namibie |
Mesure clé du projet de loi | Suppression du droit de veto des communes |
Source : https://www.regeringen.se/pressmeddelanden/2025/08/regeringen-vill-tillata-utvinning-av-uran
Image : Montagne dans la neige parmi la forêt de conifères (Freepik)