Une centrale à charbon recyclée en usine numérique à Saint-Avold.
À Saint-Avold, en Moselle, un vent de transformation souffle sur les vestiges de l’ancienne centrale thermique. Là où s’élevaient jadis les panaches de fumée de la centrale Émile-Huchet, le groupe GazelEnergie envisage d’implanter un gigantesque data center. L’annonce, faite le 2 septembre 2025, marque un tournant symbolique : passer du charbon à la donnée, sans perdre l’ancrage énergétique du lieu.
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Quand les data centers remplacent le charbon : le pari énergétique de Saint-Avold
GazelEnergie est un fournisseur et producteur d’électricité et de gaz en France, anciennement connu sous le nom d’E.ON France. L’entreprise, rachetée en 2019 par le groupe tchèque EPH (Energetický a průmyslový holding), exploite notamment la centrale thermique de Saint-Avold en Moselle. Elle s’est engagée dans la transition énergétique en développant des projets autour des énergies renouvelables et de l’hydrogène.
L’entreprise mène depuis plus d’un an des discussions avec plusieurs partenaires. Objectif affiché : accueillir jusqu’à 300 mégawatts de capacités numériques dès 2028. Une reconversion industrielle inspirée, dans un contexte de double mutation, écologique et numérique, qui bouscule tous les repères traditionnels de l’aménagement du territoire.
Une terre marquée par les fermetures : la Lorraine en quête de renaissance
Depuis la fin des années 1980, la Lorraine a vu s’effondrer des pans entiers de son tissu industriel. Haut-fourneaux éteints, aciéries démantelées, usines textiles désertées… La région, autrefois fer de lance de la sidérurgie européenne, a perdu plus de 100 000 emplois industriels en quatre décennies. À Saint-Avold comme à Hayange, à Gandrange ou Florange, les friches sont devenues les stigmates visibles d’un modèle abandonné.
Ce choc social a laissé des cicatrices durables : chômage structurel, exode des jeunes, baisse de la population active, sans oublier une forme de résignation dans les territoires. Alors, voir une centrale charbonnière se transformer en site numérique et en hub énergétique n’est pas un simple projet technique. C’est une tentative de reconquête industrielle, avec des emplois qualifiés, des compétences valorisées et une nouvelle image pour une région trop souvent réduite à son passé minier.
Pourquoi un data center ici ? Parce que tout est déjà là
Il faut imaginer ce site comme un coffre à outils géant pour ingénieurs informatiques. D’un côté, une alimentation électrique sécurisée et redondante. De l’autre, des infrastructures de refroidissement prêtes à être reconfigurées. Et au cœur de ce dispositif, une équipe déjà rodée à la gestion de flux énergétiques complexes.
Comme l’explique Antonin Arnoux, directeur du site, “un des points critiques d’un data center, c’est la consommation énergétique”. Sur ce plan, une centrale reconvertie offre des garanties rares, en matière de puissance, de stabilité et de résilience. En cas de défaillance du réseau, l’ancien cœur charbonné du site peut toujours assurer une alimentation de secours.
Tout cela fait “vraiment du sens”, pour reprendre ses termes, quand on sait qu’un data center de grande taille peut consommer autant qu’une ville moyenne.
Une transformation accélérée par la loi « Saint-Avold »
En avril 2025, le Parlement a adopté la loi dite “Saint-Avold”, un texte qui autorise officiellement la conversion des centrales à charbon en installations à gaz. C’est un détail juridique en apparence, mais un levier fondamental pour éviter la fermeture pure et simple du site prévue initialement en 2027.
Sans cette loi, près de 500 emplois directs et induits auraient été menacés. Grâce à elle, GazelEnergie a pu engager des études préparatoires et prévoit de déposer une nouvelle autorisation d’exploiter dès la rentrée 2025. Les travaux de conversion devraient commencer en 2026 pour s’achever fin 2027, juste à temps pour que le site serve d’ancrage au futur data center.
La stratégie de GazelEnergie inclut aussi un volet batterie, qui pourrait faire de Saint-Avold l’un des plus grands hubs français de stockage électrique.
Une ambition chiffrée : 400 mégawatts sur un seul site
L’addition est simple, même sans calculette.
- 300 MW pour le futur data center, hébergé sur le site de l’ancienne centrale.
- 100 MW de batteries de stockage dès 2026, avec un objectif porté à 300 MW d’ici 2028.
Ce qui donne, pour l’ensemble du site de Saint-Avold, une capacité énergétique cumulée de 400 mégawatts. Une telle puissance permettrait d’alimenter près de 600 000 habitants, soit une agglomération de la taille de Lille.
Ce chiffre donne une idée de la densité énergétique et stratégique que peut représenter une telle transformation : un ancien bastion du charbon devient une plateforme multifonction à la fois numérique et électrique, connectée aux besoins du XXIe siècle.
Un effet domino à prévoir sur les autres sites en France ?
L’exemple de Saint-Avold pourrait faire tache d’huile. En France, plusieurs centrales à charbon ou au fioul sont en attente de reconversion. Si l’expérience mosellane réussit, elle pourrait servir de modèle pour d’autres sites industriels en mal de rebond.
Il ne s’agit pas seulement d’investissements techniques. C’est tout un équilibre territorial qui est en jeu : éviter la désindustrialisation, reconvertir les compétences, créer des emplois dans la tech tout en s’appuyant sur les infrastructures énergétiques existantes.
Avec ce type de projets hybrides, les énergéticiens deviennent des acteurs de l’économie numérique, au même titre que les géants du cloud. Et inversement, les géants du numérique devront apprendre à dialoguer avec les contraintes du réseau électrique.
Image : Centrale Emile Huchet, entre Saint-Avold et Carling