6 modules géants qui veulent dompter l’énergie des étoiles.
Imaginez une machine aussi puissante qu’un ouragan magnétique, haute comme un immeuble de six étages, large comme un bus articulé, et pesant autant que 140 éléphants adultes. Ce monstre technologique, c’est le Central Solenoid, un aimant supraconducteur de plus de 1 000 tonnes, fabriqué en six modules gigantesques par General Atomics, aux États-Unis.
Chaque module pèse près de 122 tonnes. Il a fallu plus de deux ans pour construire chacun d’eux. Ils seront empilés, tel un millefeuille magnétique, pour former le cœur d’ITER, le plus grand projet mondial de réacteur à fusion nucléaire actuellement en construction à Cadarache, dans le sud de la France.
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Le Central Solenoid, aimant géant de 1 000 tonnes, est indispensable à ITER
Le rôle du Central Solenoid n’est pas de décorer un salon de physique quantique. Il doit produire un champ magnétique pulsé extrêmement puissant pour confiner un plasma à plus de 150 millions de degrés, une température supérieure à celle du cœur du Soleil.
C’est ce champ magnétique qui va initier, maintenir et contrôler la réaction de fusion. Sans lui, pas de confinement du plasma. Sans confinement, pas de fusion. Et sans fusion… toujours pas d’énergie propre et quasi illimitée sur Terre.
Autrement dit : ce solénoïde central est le starter de l’énergie de demain.
Une prouesse d’ingénierie américaine
Cocorico américain. General Atomics est devenu la première entreprise privée à relever un défi pareil dans l’histoire de la fusion nucléaire. Il ne s’agissait pas d’enrouler quelques câbles autour d’un tube PVC.
Il a fallu développer des outils spécifiques, parfois inédits, installés dans un centre industriel dédié, le Magnet Technologies Center de Poway, en Californie. L’ensemble du projet a mobilisé une chaîne logistique mondiale, avec des composants venus de plusieurs continents.
Le projet a duré 15 ans. Ce n’est plus de l’usinage, c’est de la sculpture électromagnétique à l’échelle du futur.
Des dimensions hors normes
Voici les chiffres bruts, ceux qui donnent le vertige :
Caractéristique | Valeur |
Poids total de l’ensemble | 1 000 tonnes |
Hauteur une fois assemblé | 18 mètres |
Diamètre | 4,25 mètres |
Poids d’un module | 122,5 tonnes (270 000 lb) |
Température de fonctionnement | Environ -269 °C |
Tension d’opération | Environ 25 kV |
À noter que ces modules ne fonctionneront que s’ils sont refroidis à l’hélium superfluide, ce qui les rend supraconducteurs. En clair, ils perdent toute résistance électrique. Et là, la magie opère : une circulation de courant de plusieurs millions d’ampères, sans pertes. Une centrale de fusion sans effet joule. L’anti-grille-pain.
Les retombées technologiques derrière les bobines
Ce Central Solenoid n’est pas qu’une pièce de musée futuriste. C’est aussi un laboratoire d’innovations industrielles à lui tout seul.
Grâce à ce projet, General Atomics a mis au point des compétences clés dans la fabrication de composants supraconducteurs, le test de matériaux extrêmes, ou encore la manipulation de structures massives avec des tolérances millimétriques.
Ces savoir-faire ne sont pas uniquement réservés à ITER. Ils pourront servir dans :
- des accélérateurs de particules
- des systèmes de transport par lévitation magnétique
- des dispositifs médicaux comme les IRM géants
- des satellites de nouvelle génération
La fusion, même encore théorique, fait déjà tourner des usines, des cerveaux et des brevets.
L’enjeu géopolitique d’une course énergétique
« Le pays qui maîtrisera la fusion en premier aura les clés du futur », affirme John Smith, directeur des projets d’ingénierie chez General Atomics.
C’est plus qu’une formule. La fusion, si elle devient opérationnelle, pourrait remplacer les combustibles fossiles, réduire drastiquement les émissions de CO₂, et dépendre uniquement de l’eau de mer comme source d’énergie.
Chaque réacteur ITER pourrait produire l’équivalent de 500 mégawatts pendant des heures, sans déchets radioactifs à longue durée de vie. Et avec des risques d’accident presque nuls.
Les États-Unis, via General Atomics, affirment donc leur position dans la compétition mondiale face à la Chine, à la Russie ou à l’Europe. Sauf que le projet ITER lui-même est coopératif. Il implique 35 nations. Une sorte de Nations Unies de la physique nucléaire.
Une cathédrale électromagnétique pour un avenir sans carbone
Il aura fallu plus d’une décennie pour donner vie à ces modules. Et ce n’est que le début. Une fois les six géants empilés dans la chambre du tokamak, à Cadarache, il faudra encore des mois de tests avant de tenter les premiers plasmas.
ITER, ce n’est pas un réacteur de production. C’est un démonstrateur. Un prototype géant pour prouver que la fusion peut fonctionner à grande échelle. Si c’est un succès, les réacteurs commerciaux comme DEMO suivront dans les années 2040.
En attendant, à chaque module livré depuis San Diego, c’est un peu de notre futur énergétique qui traverse l’Atlantique.
Les autres machines qui rêvent de dompter le Soleil
Si ITER est le plus ambitieux des réacteurs de fusion, il est loin d’être le seul. Voici un tour d’horizon des autres machines qui veulent chauffer l’avenir.
Projet | Pays | Objectif | Technologie | Puissance visée |
SPARC | États-Unis (MIT + Commonwealth Fusion Systems) | Démonstrateur compact avant réacteur commercial | Tokamak à supraconducteurs HTS | 50 à 100 MW |
K-STAR | Corée du Sud | Expérimentation sur la stabilité du plasma | Tokamak | Record de 30 secondes à 100 millions de °C |
EAST | Chine | Longue durée de confinement du plasma | Tokamak | Plasma à 158 millions de °C pendant 6 minutes |
JET | Royaume-Uni | Réacteur historique européen (prédécesseur d’ITER) | Tokamak | 59 MJ d’énergie en 2021 |
DEMO | Europe (post-ITER) | Premier réacteur commercial | Tokamak basé sur les retours d’ITER | Environ 2 GW |
CFETR | Chine | Réacteur commercial de démonstration avant DEMO | Tokamak | 1 à 2 GW |
ST40 | Royaume-Uni (Tokamak Energy) | Fusion à faible coût dans un format compact | Tokamak sphérique | Objectif : 100 millions de °C |
La tendance actuelle ? Des machines plus petites, plus rapides à construire, parfois portées par des startups et dopées aux aimants supraconducteurs de nouvelle génération. L’idée n’est pas d’attendre 2040, mais de faire de la fusion rentable dès les années 2030. À condition que le plasma tienne ses promesses.
Le Tokamak, c’est quoi au juste ?
On parle de tokamak, de plasma, de champ magnétique… très bien. Mais comment ça marche ?
Imaginez une boucle géante en forme de beignet. Ce beignet, c’est la chambre de confinement. À l’intérieur, on injecte un gaz (généralement du deutérium et du tritium), qu’on chauffe à des millions de degrés jusqu’à ce qu’il devienne plasma, c’est-à-dire un gaz d’atomes totalement ionisés. Les électrons et les noyaux y vivent séparés, comme dans un bal masqué énergétique.
Problème : ce plasma chaud ne doit surtout pas toucher les parois du tokamak, sous peine de tout faire fondre.
La solution ? Le confiner avec un champ magnétique torique, produit par une série d’aimants disposés tout autour de la chambre. C’est là qu’intervient notre fameux Central Solenoid : il génère un courant électrique dans le plasma lui-même, comme dans une dynamo inversée, pour stabiliser le tout.
L’objectif final : faire fusionner deux noyaux d’hydrogène pour créer un noyau d’hélium et libérer une immense quantité d’énergie, selon la célèbre équation E = mc². Et cette énergie, on la capte ensuite pour produire de l’électricité. Sans CO₂, sans uranium, sans fumée.
Source : https://www.ga.com/ga-marks-completion-of-the-world-s-largest-and-most-powerful-pulsed-superconducting-magnet-for-fusion-energy