L’aviation chinoise avance à grands pas et sans se cacher.
Au départ, c’était une promesse, une ambition un peu floue sur le papier glacé des brochures officielles et qui paraissait même complètement hors d’atteinte : réaliser un avion à fuselage étroit (ou avion monocouloir) 100 % chinois. Ce dernier baptisé C919 était ainsi prévu dès son origine pour concurrencer les deux géants historiques : Airbus et Boeing.
Deux ans plus tard, quelques chiffres viennent nous renseigner sur l’état d’avancement de ce fer de lance de l’ambition aérienne de l’Empire du Milieu.
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Le C919 a déjà transporté plus de deux millions de passagers : la revanche tranquille de l’aviation chinoise
Le premier chiffre est déjà impressionnant puisque plus de 2,1 millions de passagers ont déjà volé à bord du C919, selon les dernières données de China Eastern Airlines, principal opérateur du programme. La compagnie, basée à Shanghai, exploite 11 appareils, déployés sur 14 liaisons commerciales à travers la Chine. Elle annonce ainsi 15 200 vols effectués, 37 200 heures de vol enregistrées, et un taux de remplissage supérieur à 85 %. Autrement dit, l’avion vole beaucoup… Et clairement pas à vide !
Pour un programme encore inconnu du grand public européen, le C919 fait un bruit de fond de plus en plus assourdissant.
Un programme chinois qui s’installe dans le quotidien des voyageurs
On pourrait penser que ces vols sont des démonstrations ou des routes-test. Pas du tout. Le C919 opère sur de vraies lignes commerciales, avec de vrais passagers, dans de vraies conditions.
L’appareil a été en particulier déployé sur des lignes reliant 12 des plus grandes villes chinoises, notamment :
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Shanghai–Pékin, axe ultra-concurrentiel dominé jusque-là par Airbus et Boeing,
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Chengdu, Chongqing, Xi’an, dans le centre et l’ouest du pays,
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Guangzhou, Shenzhen, Hong Kong, au sud,
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Shenyang et Taiyuan, au nord.
Un face-à-face inégal… mais plus si lointain
Passé l’effet “waouh”, le verdict tombe : le C919 n’est pas (encore) à la hauteur de ses concurrents occidentaux en nombre de livraisons. Airbus a livré 735 avions en 2024, Boeing 528. COMAC, le constructeur chinois, en a livré… cinq.
Mais les débuts d’Airbus dans les années 1970 n’étaient pas non plus flamboyants. L’A300, son premier appareil, avait mis des années à convaincre. Pourtant, cinquante ans plus tard, l’Europe vole sur des rails en matière d’aéronautique.
Le C919 est conçu pour concurrencer l’Airbus A320neo et le Boeing 737 MAX 8, sur le segment très stratégique des monocouloirs. C’est le cœur du marché mondial. Le segment qui transporte la moitié de l’humanité dans les airs chaque année. Et voici un nouveau joueur qui s’invite à la table, avec l’appui d’un pays de 1,4 milliard d’habitants.
Comparaison technique C919 / A320neo / 737 MAX 8
Modèle | COMAC C919 | Airbus A320neo | Boeing 737 MAX 8 |
Entrée en service | 2023 | 2016 | 2017 |
Passagers | 158 à 174 | 150 à 180 | 162 à 178 |
Autonomie | 4 075 km | 6 300 km | 6 570 km |
Moteur | LEAP-1C | LEAP-1A ou PW1100G | LEAP-1B |
Livraisons (2024) | 5 | 735 | 528 |
Le C919 n’a pas encore l’endurance d’un A320neo ou d’un 737 MAX, mais son architecture est moderne, et ses moteurs sont les mêmes que ceux des Airbus et Boeing : des LEAP fournis par CFM International.
L’appareil est assemblé en Chine, avec environ 60 % de composants chinois, et 40 % issus de partenaires étrangers (avionique, propulsion, systèmes hydrauliques). La Chine ambitionne d’atteindre 90 % de composants domestiques d’ici 2030, notamment avec un moteur 100 % chinois en développement.

105 commandes, 11 livrés, et un carnet qui va grossir
China Eastern a déjà commandé 105 C919, un chiffre qui dépasse largement l’effet d’annonce. On n’achète pas 105 avions pour faire joli dans un communiqué. C’est une politique d’équipement structurant, soutenue par l’État chinois, mais aussi par une vraie logique opérationnelle.
La flotte se développe progressivement. Les livraisons sont encore lentes mais COMAC monte en cadence. L’objectif ? Produire 150 avions par an d’ici 2030. Loin des 700 d’Airbus, certes, mais la dynamique est là.
Et quand la Chine décide d’aller quelque part, en général… Elle y arrive.
Pas (encore) de conquête mondiale, mais une reconquête nationale
Le C919 ne cherche pas (encore) à séduire Paris ou Francfort. Il vise d’abord le marché intérieur chinois, le deuxième plus gros du monde avec plus de 600 millions de passagers annuels. À lui seul, ce marché peut justifier le développement d’une gamme complète d’avions domestiques.
Pékin pousse ses compagnies nationales à acheter COMAC. Les banques suivent. Les infrastructures s’adaptent. À l’export, certaines compagnies africaines ou sud-américaines ont montré un intérêt. Le Pakistan, l’Iran, l’Indonésie ont également entamé des discussions.
Le C919 n’est pas encore un “produit miracle”. C’est un produit stratégique, pensé pour créer une base industrielle nationale autonome, avec un effet d’entraînement sur toute la chaîne aéronautique chinoise… Et bien malin qui saura quel sera le premier avionneur au monde en 2050 !