50 ans pour devenir la première puissance mondiale du rail pour la Chine.
Nous sommes en 1975, dans les monts Qinling, entre Baoji et Chengdu. Le décor est rude, les locomotives crachent leur fumée, et les vitesses peinent à dépasser 25 km/h. Ce n’était en réalité qu’un point de départ puisque ce modeste tronçon deviendra le tout premier chemin de fer entièrement électrifié de Chine, amorçant une transformation qu’aucun pays n’a connue à cette échelle.
Un demi-siècle plus tard, la Chine possède le plus grand réseau ferroviaire électrifié du monde, avec 120 000 kilomètres de voies électrifiées, soit trois fois le tour de la Terre. Et surtout, 43 000 kilomètres dédiés à la grande vitesse, où des trains filent à 350 km/h, avec la prochaine génération déjà prête à atteindre 400 km/h.
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Du cuivre aux algorithmes, comment 50 ans d’électrification ont propulsé la Chine sur le devant de la scène mondiale du rail
Derrière un train lancé à très haute vitesse se cache une prouesse moins visible mais essentielle : la caténaire, ce câble tendu au-dessus des voies, unique source d’énergie pour tout le système. Ce qui peut vous paraitre banal est en réalité le fruit de décennies de R&D, de tests, d’essais sous chaleur, froid, poussière, humidité, et parfois tout ça à la fois !
Les anciens câbles cuivre-étain ou cuivre-magnésium ont longtemps tenu la ligne. Jusqu’à ce que les besoins dépassent leurs limites physiques. Alors des ingénieurs chinois se sont mis au travail. Trois ans plus tard, ils sortaient un câble cuivre-chrome-zirconium, à haute résistance et forte conductivité, capable de supporter en toute sécurité des vitesses supérieures à 350 km/h. Le gain de conductivité ? +20 %. Suffisant pour électrifier le futur.
Ce câble, aujourd’hui, équipe les lignes les plus rapides du pays.
Le grand remplacement… de l’œil humain
Jusqu’en 2019, inspecter les lignes à grande vitesse était un marathon pour les pupilles. Prenez la ligne Pékin–Shanghai : 14 millions de photos de câbles analysées chaque année à l’œil nu par des techniciens expérimentés.
Alors la Chine a décidé de passer à autre chose de moins “rustique”: caméras, intelligence artificielle, algorithmes 4C. Désormais, un système automatique repère les anomalies, les classe, les signale. Le regard humain n’intervient qu’en validation. C’est plus rapide, plus précis, avec moins de fatigue et moins d’erreurs.
Big data, drones, réseaux 5G et plateformes de maintenance prédictive ont succédé pour créer une sorte de jumeau numérique du réseau ferroviaire. On ne répare plus quand ça casse, on anticipe avant que ça coince.
Le diesel a été éteint, les convois ont grossi
Électrifier, ce n’est pas juste changer de carburant. C’est libérer de la puissance. Une locomotive électrique peut tirer jusqu’à 20 000 tonnes sur certaines lignes de fret, comme le corridor Datong–Qinhuangdao, soit l’équivalent de 300 wagons chargés qui glissent sans rugir.
Pour les passagers aussi, le contraste est saisissant. Un train à 16 voitures comme le CR400AF transporte jusqu’à 1 200 personnes, à 350 km/h, sans bruit, sans fumée, sans la moindre goutte de diesel. Le tout alimenté par une électricité de plus en plus propre, souvent solaire ou hydraulique.
Chaque kilomètre électrifié est un kilomètre sans particules fines, sans carburant fossile, sans dépendance au pétrole.
Des câbles à 5 000 mètres d’altitude, des trains au milieu des nuages
Ce réseau ne se limite pas aux plaines : il grimpe, serpente et traverse. De la ligne Lhassa–Nyingchi, perchée à 5 000 mètres, jusqu’à la nouvelle ligne Chongqing–Xiamen, qui relie les montagnes du centre aux plages du sud, l’électrification s’est invitée partout.
Des zones humides de l’est à la sécheresse du Gansu, des typhons du Guangdong aux neiges du Heilongjiang, la Chine a testé tous les scénarios climatiques. Et elle les a tous intégrés dans son modèle.
Aujourd’hui, ce sont des robots qui surveillent, des plateformes cloud qui anticipent, des données qui apprennent en continu. Le rail chinois est devenu intelligent. Et il apprend vite.
Une colonne vertébrale nationale et un terrain d’exportation
Le chemin de fer électrifié chinois est une véritable colonne vertébrale de la modernisation de la Chine. Il connecte désormais des mégalopoles, irrigue des zones rurales, transporte le charbon comme les étudiants, et trace la route de la modernisation à très grande vitesse.
Aujourd’hui, elle peut construire, entretenir, superviser et optimiser n’importe quel type de ligne ferroviaire. Son réseau est devenu intelligent, modulaire, résilient. Surtout, elle l’exporte et concurrence les occidentaux sur leur terrain de jeux de jadis. L’Égypte, la Serbie, l’Indonésie ou le Laos roulent déjà sur des rails chinois.

La Chine a le plus grand réseau ferré du monde en 2025
Pays / Région | Réseau total (km) | Réseau électrifié (km) | Réseau à grande vitesse (km) | Vitesse max commerciale |
Chine | 162 000 | 120 000 | 43 000 | 350–400 km/h |
États-Unis | 138 000 | ~2 500 | ~750 | 240 km/h (Acela Express) |
Russie | 87 000 | 44 000 | 0 (hors projets) | 160–200 km/h |
Inde | 69 000 | 40 000 | ~500 (en construction) | 160 km/h (Vande Bharat) |
Canada | 52 000 | ~150 | 0 | 160 km/h (projets à venir) |
Union européenne (UE) | 220 000 | ~120 000 | 11 500 | 300–350 km/h |
Allemagne | 38 500 | ~21 000 | 1 600 | 300 km/h (ICE 3) |
France | 27 500 | ~15 000 | 2 800 | 320 km/h (TGV inOui) |
Japon | 27 000 | 21 000 | 3 000 | 320 km/h (Shinkansen N700S) |
Turquie | 13 000 | ~7 000 | ~1 400 | 250–300 km/h |
- La Chine est de très loin en tête sur tous les segments : elle possède le réseau électrifié et à grande vitesse le plus long du monde, avec une croissance annuelle soutenue (plus de 3 000 km de LGV ajoutés entre 2022 et 2025).
- Les États-Unis ont le 2e plus grand réseau global, mais il est presque entièrement non électrifié et quasiment sans grande vitesse, sauf exception (le corridor Boston–Washington avec l’Acela Express, limité par l’infrastructure).
- L’Union européenne, prise dans son ensemble, rivalise avec la Chine sur le papier (en nombre total de kilomètres), mais reste fragmentée par pays, avec des vitesses commerciales souvent inférieures (300–320 km/h).
- Le Japon, pionnier du rail à grande vitesse, reste un modèle de densité, mais son expansion est géographiquement limitée par l’archipel.
Et maintenant ?
Alors que le reste du monde tente encore d’atteindre les 350 km/h, la Chine regarde déjà plus loin, plus vite, plus haut. L’un des projets les plus emblématiques est le train à lévitation magnétique à grande vitesse (maglev), capable d’atteindre 600 km/h en conditions optimales. Ce prototype, présenté en 2021 et en cours de test à Qingdao, repose sur une technologie de sustentation magnétique passive, sans contact avec les rails, permettant des vitesses inatteignables pour les trains à roues classiques.
Parallèlement, le CR450, dernière évolution des trains à unités multiples électriques (EMU), est en phase avancée de développement. Objectif : une vitesse commerciale de 400 km/h, tout en réduisant la consommation énergétique, les coûts d’entretien, et les nuisances sonores. Ce train utilisera de nouveaux matériaux composites, des capteurs embarqués intelligents, et des systèmes de contrôle ultra-haute fréquence basés sur la 5G et l’IA.
En somme, la Chine ne se contente plus de bâtir le plus grand réseau ferré du monde, elle commence à redéfinir la notion même de “train grande vitesse du futur”