Une hécatombe énergétique qui fait du bruit à Washington.
7,5 milliards de dollars ou 6,43 milliards d’euros. Voilà la somme que le Département de l’Énergie des États-Unis (DOE) affirme avoir récupérée en mettant un terme à 223 projets de R&D et de déploiement dans les secteurs des énergies propres, du stockage, de l’efficacité énergétique et même du nucléaire.
Derrière l’économie à court terme, une question : les Etats-Unis viennent-ils de renoncer à leur casquette de meneur dans les énergies vertes au profit de la Chine ?
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Le Département de l’Énergie des États-Unis annule 223 projets pour 6,43 milliards d’euros d’économie visés
L’annonce est tombée comme une enclume le 2 octobre 2025. 321 financements publics ont été purement et simplement annulés après réexamen financier. Certains dossiers avaient été signés dans les toutes dernières semaines de l’administration précédente. D’autres n’auraient pas apporté “de retour sur investissement suffisant” selon les critères économiques du moment.
Les justifications invoquées ? Manque de viabilité économique, retombées énergétiques jugées trop faibles, ou encore risques pour la sécurité nationale. Autant de formulations qui laissent songeur, surtout quand on sait que plusieurs de ces projets avaient été conçus pour tester des technologies fondamentales de rupture comme la capture du CO₂, les SMR (petits réacteurs modulaires), ou les réseaux électriques intelligents.
Les agences visées : qui perd quoi dans cette opération de purge “trumpienne”
Les coupes ont affecté plusieurs bureaux clés du Département de l’Énergie. En ligne de mire :
- OCED (Office of Clean Energy Demonstrations) : connu pour ses projets pilotes dans l’hydrogène vert, le stockage longue durée, et la géothermie profonde.
- EERE (Office of Energy Efficiency and Renewable Energy) : principal moteur des investissements dans l’éolien offshore, la R&D solaire, ou l’efficacité industrielle.
- GDO (Grid Deployment Office) : impliqué dans la modernisation du réseau électrique.
- MESC (Manufacturing and Energy Supply Chains) : ciblant la relocalisation de chaînes d’approvisionnement stratégiques.
- ARPA-E : le laboratoire d’idées énergétiques le plus audacieux du pays, souvent comparé à la DARPA pour l’énergie.
- FE (Fossil Energy) : plutôt orienté vers les usages “proprement carbonés”, comme la séquestration du CO₂.
Plus d’un quart des financements annulés avaient été signés entre le jour de l’élection et l’inauguration présidentielle. Une période politiquement sensible, souvent propice aux signatures en urgence.
Des milliards envolés, des ambitions stoppées net ?
Difficile de savoir avec précision quels projets ont été supprimés. Le ministère n’a pas publié la liste complète, se contentant de parler de 223 projets. Des startups de batteries, des centres de R&D dans les universités publiques, des démonstrateurs à grande échelle dans le solaire thermodynamique, ou même des pilotes de SMR pourraient être concernés.
Un chiffre résume l’ampleur du mouvement : plus de 3,1 milliards d’euros d’aides supprimées concernent des projets post-électoraux.
Le message est clair : l’administration actuelle fait le tri. Elle veut un retour rapide sur investissement et juge que certains projets, bien que innovants, mettent trop de temps à produire de l’énergie fiable et bon marché. C’est un changement de doctrine par rapport à l’approche exploratoire du mandat précédent.
Une nouvelle doctrine : rentabilité, sécurité, patriotisme énergétique
Le cadre de cette purge administrative repose sur un mémorandum diffusé en mai 2025 par la secrétaire à l’Énergie. Intitulé “Responsabilité dans l’allocation des aides financières”, il impose une double logique :
- Chaque projet doit faire l’objet d’un réexamen individuel.
- Les porteurs peuvent être recontactés pour fournir des éléments de justification supplémentaires.
Objectifs affichés : éviter le gaspillage, protéger la sécurité nationale, et concentrer les efforts sur les projets qui soutiennent directement la compétitivité énergétique américaine. En clair : des projets “américains, performants, immédiatement utiles.”
Un porteur de projet peut contester l’annulation, mais il ne dispose que de 30 jours pour faire appel. Plusieurs acteurs ont déjà enclenché cette procédure, selon l’administration.
Un effet domino sur la scène internationale ?
Cette vague d’annulations pourrait avoir un effet domino sur les politiques énergétiques des pays alliés, en particulier ceux qui cofinançaient certains projets via des collaborations transatlantiques (smart grids, hydrogène, SMR, etc.).
On peut aussi s’interroger sur les investissements privés attendus dans le sillage de ces programmes. Beaucoup de projets annulés avaient reçu des engagements conditionnels d’entreprises. Sans soutien fédéral, certains chantiers pourraient s’arrêter net, affaiblissant l’innovation sur des secteurs stratégiques comme le stockage gravitaire ou les catalyseurs à base de terres rares.
Les grands chiffres à retenir :
Indicateur | Valeur |
Projets annulés | 223 |
Financements annulés | 321 |
Montant total des annulations | 7,5 milliards $ (6,43 milliards d’euros) |
Projets signés entre novembre 2024 et janvier 2025 | 26 % des financements |
Montant concerné par ces projets tardifs | 3,1 milliards € |
Délai d’appel pour les porteurs de projet | 30 jours |
À l’inverse, la Chine accélère tous azimuts
Alors que les États-Unis mettent la pédale douce sur des centaines de projets énergétiques, la Chine suit une trajectoire inverse, et à grande vitesse. Pékin investit massivement dans les infrastructures énergétiques dites “stratégiques” : plus de 500 milliards d’euros ont été alloués entre 2021 et 2025 aux énergies renouvelables, aux réacteurs nucléaires de nouvelle génération (comme les Hualong One ou les CFR-600 à neutrons rapides), ainsi qu’aux réseaux électriques intelligents. En 2025, la Chine a lancé plus de 180 projets pilotes d’hydrogène vert, et déployé plusieurs centres de données sous-marins, exploitant le refroidissement naturel pour réduire leur consommation.
Le contraste est frappant : là où les États-Unis procèdent à une revue budgétaire drastique, la Chine considère l’investissement dans l’énergie comme une arme industrielle, technologique et géopolitique. Résultat, son avance se creuse dans des secteurs clés comme le stockage d’énergie, la filière batteries, ou l’éolien offshore ultra-haute puissance.
Affrontement entre vision à court terme et une stratégie énergétique pensée sur des générations… L’avenir nous dira sur la première puissance mondiale a fait le bon choix à ce moment de son histoire.
Sources :
- China Energy Investment Corporation – Rapport annuel 2024–2025Données sur les investissements totaux en énergie (nucléaire, renouvelables, charbon propre, hydrogène).
Estimation de plus de 500 milliards d’euros d’investissement public et privé cumulés entre 2021 et 2025. - Energy Department Announces Termination of 223 Projects, Saving Over $7.5 BillionCommuniqué de presse du Département de l’Énergie des États-Unis (DOE) du 02 octobre 2025
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