L’avenir de la transmission de données passera par un « laser arc‑en‑ciel ».
Dans un laboratoire de l’Université Columbia, des chercheurs ont réussi un tour de force : concevoir une puce photonique capable de générer ce que l’on appelle un “peigne de fréquences” (frequency comb).
En clair, il s’agit d’une source lumineuse intégrée qui produit simultanément des dizaines de longueurs d’onde distinctes, chacune pouvant véhiculer un flux de données séparé (un « laser arc‑en‑ciel » en somme). Cette nouveauté ouvre la voie à des fibres optiques multipistes, multipliant le débit sans multiplier les lasers encombrants.
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Un nouveau moyen de contourner les limites des lasers classiques dans le monde de l’IA
À mesure que les intelligences artificielles deviennent plus puissantes et que les objets connectés envahissent nos quotidiens, la quantité de données générées dans le monde explose littéralement. Selon l’IDC, la “sphère des données” mondiale est passée de 120 zettaoctets en 2023 à une estimation de 291 zettaoctets en 2027, soit un doublement en quatre ans, à un rythme de croissance annuel de plus de 21 %. Cette avalanche de bits met sous pression les infrastructures numériques. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les centres de données ont consommé 460 térawattheures d’électricité en 2022, et ce chiffre pourrait doubler d’ici 2026 si aucune amélioration n’est apportée. Pour ne rien arranger, entraîner un seul grand modèle d’IA peut consommer autant d’électricité qu’une centaine de foyers américains sur un an, comme l’ont calculé plusieurs chercheurs du MIT. Dans ce contexte, toute avancée technologique capable d’optimiser la transmission, le stockage ou le traitement de l’information n’est plus une simple innovation : c’est devenu une nécessité technique et énergétique.
Les limites du “rail” unique de lumière par fibre
Aujourd’hui, la plupart des centres de données utilisent des lasers mono‑longueur d’onde : un seul “rail” de lumière par fibre. Cela pose un goulot d’étranglement face à cette croissance vertigineuse des besoins en données, les ingénieurs rêvent de lasers multiples dans une même fibre, sans désordre optique ni interférence.
C’est dans cette quête que l’équipe de Michal Lipson est tombée sur un phénomène inattendu : en poussant un laser intégré à puissance élevée, ils ont observé spontanément la formation d’un peigne de fréquences, autrement dit une suite ordonnée de lumières colorées, semblables à un arc‑en‑ciel contrôlé.
Purifier la lumière “chaotique” pour la rendre utilisable
Le défi est à la hauteur de l’ambition : le laser utilisé étant multimode, puissant, mais instable et “brouillé”.
Pour le rendre utilisable dans une puce photonique, il fallait “nettoyer” ce chaos lumineux, lui faire subir un verrouillage optique (optical locking) pour obtenir une cohérence élevée. Une fois la lumière stabilisée, la puce exploite ses propriétés optiques pour séparer le faisceau en des longueurs d’onde distinctes, organisées et calées.
On obtient ainsi une seule puce, remplaçant des racks complets de lasers, avec des canaux multiples intégrés pour un coût réduit, un moindre encombrement et une efficacité bien supérieure.
Révolutionner les fibres optiques, l’IA et la photonique
Ce “laser arc‑en‑ciel” intégré pourrait transformer la façon dont les données traversent le réseau interne d’un centre de calcul. En multipliant les canaux par fibre, on réduit le nombre de fibres nécessaires, les coûts de maintenance, et les pertes de signal.
Mais ses applications ne s’arrêtent pas là :
- Spectrométrie sur puce, pour analyser la composition chimique d’un matériau ou d’un gaz,
- Horloges optiques, avec des fréquences extrêmement stables,
- Photonique quantique, où un peigne de fréquences bien calibré est une ressource précieuse,
- LiDAR miniaturisé, pour les véhicules autonomes ou les drones.
On passe ainsi de la lumière de laboratoire au cœur des dispositifs du monde réel.
Limites, défis et perspectives
Cette technologie n’est pas une solution instantanée. Parmi les défis restant :
- Maintenir la puissance de sortie de chaque ligne de fréquence,
- Assurer la stabilité dans le temps, malgré les variations de température, de tension,
- Gérer les pertes optiques internes quand on génère plusieurs longueurs d’onde,
- Industrialiser la fabrication de ces puces photoniques à grande échelle.
Les débuts sont cependant prometteurs.
Si les équipes réussissent à produire des peignes puissants, stables et compacts, on pourrait voir la demande exponentielle en bande passante optique trouver une réponse durable.
Source :
High-power electrically pumped microcombs. (en français : “Micropeignes optiques à haute puissance pompés électriquement”)
Gil-Molina, A., Antman, Y., Westreich, O. et al.
Nat. Photon. (2025). https://doi.org/10.1038/s41566-025-01769-z
Image : vision d’artiste réalisée à l’aide de Flux 1.1 Pro Ultra et de Canva.