L’Europe a encore une carte à jouer dans la quête des métaux stratégiques et qui pourrait générer 14 milliards d’euros par an : le recyclage des déchets électroniques

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Ces montagnes de ferraille oubliée qui valent une fortune.

Chaque année, l’Europe génère plus de 10 millions de tonnes de déchets électroniques. Des objets familiers, souvent devenus invisibles : un vieux portable dans un tiroir, une box internet débranchée, un grille-pain qui ne marche plus, un écran au fond d’un garage. Ça n’a l’air de rien, mais additionnés, cela représente environ 20 kg par personne.

Et sous leurs airs de déchets inutiles se cachent en réalité un “trésor” qui n’attend qu’à être exploité !

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Le 14 octobre 2025, un rapport du consortium FutuRaM est venu rappeler l’évidence : près d’un million de tonnes de matériaux critiques dorment dans ces déchets chaque année. Du cuivre, du silicium, du palladium, du tungstène…

Ces métaux rares sont pourtant indispensables pour fabriquer les batteries de nos voitures électriques, les éoliennes offshore, les fibres optiques et les puces qui font tourner l’économie numérique.

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On les importe… et on les jette

Là où le bât blesse, c’est que l’Europe importe plus de 90 % de ces matériaux critiques et pour une grande partie depuis la Chine… qui peut couper le robinet à tout moment. Dans le même temps, moins de 1 % est effectivement recyclé localement pour certains d’entre eux. Une absurdité géopolitique doublée d’un gaspillage industriel sans nom !

Sur les 10,7 millions de tonnes de déchets électroniques produits en 2022, près de 5 millions ont échappé à toute valorisation. Ils ont fini dans des incinérateurs, des décharges ou sont partis dans des circuits opaques à l’étranger. Chaque tonne perdue, c’est autant de matériaux qu’il faudra extraire ailleurs avec plus de pollution, plus de coûts, et plus de tensions.

Un filon à exploiter, et vite

Le rapport de FutuRaM ne se contente pas de tirer la sonnette d’alarme. Il projette une hausse vertigineuse du volume de déchets électroniques d’ici 2050 : entre 12,5 et 19 millions de tonnes par an.

De plus, la quantité de matériaux critiques piégés dans ces déchets devrait atteindre jusqu’à 1,9 million de tonnes par an. Avec les bonnes filières de collecte et de recyclage, on pourrait en récupérer jusqu’à 1,5 million. De quoi sécuriser des pans entiers de notre industrie, sans ouvrir une seule mine.

Les panneaux solaires : champions toutes catégories des déchets du futur

Parmi les équipements qui deviendront des déchets en masse : les panneaux photovoltaïques. En 2022, ils ne représentaient que 150 000 tonnes. D’ici 2050, ils pourraient générer 2,2 millions de tonnes par an.

Ces panneaux contiennent du silicium ultra-pur, de l’argent, de l’aluminium et parfois même des terres rares. Si on ne prévoit pas des filières adaptées pour les démonter et récupérer ces matériaux, on enverra à la benne une part essentielle de notre transition énergétique.

Cinq leviers pour transformer le gâchis en filière d’avenir

L’Europe commence à réagir. Voici les cinq axes stratégiques identifiés pour inverser la tendance :

  1. Mieux collecter, pour éviter les pertes dès l’amont.
  2. Repenser la conception des appareils pour qu’ils soient démontables facilement.
  3. Cibler les composants les plus riches, comme les batteries, cartes électroniques, connecteurs.
  4. Investir dans des technologies de recyclage avancé, y compris chimiques.
  5. Créer des incitations financières à la hauteur de l’enjeu (bonus, fiscalité, achats publics).

Ces leviers s’intègrent dans de nouvelles lois européennes : le Critical Raw Materials Act, le futur Circular Economy Act, et une refonte de la directive DEEE qui régit déjà le tri de nos équipements électroniques.

En France aussi, un gisement trop peu exploité

Sur le terrain français, les ambitions existent, mais les résultats ne suivent pas toujours. Une étude menée dès 2015 révélait que, sur 1,588 million de tonnes d’équipements vendus, seulement 430 000 tonnes de déchets électroniques avaient été collectées, et à peine 354 000 recyclées dans les règles.

Pourtant, la France a lancé des mesures pionnières : un indice de réparabilité obligatoire sur les produits électroménagers et électroniques, pour inciter à prolonger leur durée de vie. Et le secteur pourrait connaître une croissance annuelle de 17,7 % jusqu’en 2035, selon une analyse de Market Research Future.

Les obstacles restent malheureusement encore nombreux : trop peu de points de collecte, des appareils dispersés, des filières informelles mal contrôlées, et un coût encore élevé du recyclage pour certains métaux.

« Ce ne sont pas des déchets. Ce sont des ressources stratégiques. »

Pascal Leroy, du WEEE Forum, résume la situation sans détour :

“Sans ces matériaux critiques, il n’y aura pas de batteries, pas d’éoliennes, pas d’économie verte. Chaque téléphone jeté, c’est une perte de souveraineté.”

« Les déchets électroniques européens ne sont pas des ordures, c’est une ressource de plusieurs milliards d’euros qui n’attend qu’à être exploitée », a déclaré Kees Baldé, spécialiste scientifique principal à l’UNITAR SCYCLE, avant d’ajouter que

« Chaque kilogramme que nous récupérons et chaque appareil que nous réparons renforcent notre économie, réduisent notre dépendance et créent de nouveaux emplois »

En résumé sur les déchets électroniques européens :

Indicateur Valeur (Europe 2022)
Déchets électroniques générés 10,7 millions de tonnes
Part recyclée via filières conformes 54 %
Part perdue dans des circuits non conformes 46 % (≈ 5 millions de tonnes)
Matériaux critiques récupérés ≈ 400 000 tonnes
Détail : Cuivre 162 000 tonnes
Détail : Aluminium 207 000 tonnes
Détail : Silicium 12 000 tonnes
Détail : Tungstène 1 000 tonnes
Détail : Palladium 2 tonnes
Projections 2050 (volume de DEEE) 12,5 à 19 millions de tonnes/an
Projections 2050 (matériaux critiques récupérables) Jusqu’à 1,5 million de tonnes/an
Déchets photovoltaïques (2022 → 2050) 150 000 t → 2,2 millions t

Est-ce que ça vaut vraiment le coup ?

En partant du volume potentiel à récupérer d’ici 2050, soit jusqu’à 1,5 million de tonnes par an de matériaux critiques (CRMs), selon le tableau ci-dessus, tentons une estimation de leur valeur de marché cumulée en utilisant les prix moyens actuels des matériaux principaux mentionnés dans l’article (en euros/tonne) :

Matériau critique Tonnage annuel estimé Prix moyen 2025 (€/tonne) Valeur estimée (€)
Cuivre 600 000 t ~8 200 €/t 4,92 milliards €
Aluminium 550 000 t ~2 200 €/t 1,21 milliard €
Silicium 50 000 t ~2 000 €/t (métallurgique) 100 millions €
Tungstène 2 000 t ~29 000 €/t 58 millions €
Palladium 200 t ~38 000 €/kg (38 M€/t) 7,6 milliards €
TOTAL ESTIMÉ 13,89 milliards €/an

Le recyclage complet des matériaux critiques contenus dans les déchets électroniques européens pourrait ainsi générer jusqu’à 14 milliards d’euros de valeur chaque année d’ici 2050, si les filières sont pleinement opérationnelles, donc oui, ça vaut le coup et pas qu’un peu !

Cela représente une nouvelle “mine urbaine” d’une valeur supérieure au PIB annuel de pays comme Malte ou le Monténégro en dehors de l’opportunité stratégique de réduire la dépendance extérieure sur des matières critiques, tout en créant des emplois industriels en Europe.

Sources :

  • FutuRaM (2025) – “Recycling Europe’s e-waste could unlock 1 million tons of critical materials”. Rapport publié à l’occasion de la Journée internationale des déchets électroniques, avec le soutien de l’Union européenne. Il fournit des données détaillées sur les volumes de DEEE, les matériaux critiques récupérables et les scénarios de projection à l’horizon 2050. Source : weee-forum.org
  • Commission européenne (2025) – Déclarations de Jessika Roswall, Commissaire européenne à l’Environnement, dans le cadre du lancement des travaux législatifs sur les matières premières critiques et l’économie circulaire. Source : ec.europa.eu/environment
  • Market Research Future – “France Electronic Waste Recycling Market Research Report 2025–2035”. Prévisions sur le marché français du recyclage des DEEE, avec un taux de croissance annuel estimé à 17,7 %. Source : marketresearchfuture.com
  • Ministère de la Transition écologique (France) – Informations officielles sur l’indice de réparabilité en vigueur depuis 2020. Sources : ecologie.gouv.fr, Wikipedia (DEEE)

Image : Le palladium (Pd) occupe la position n°46 dans le tableau périodique des éléments. Sous forme élémentaire, c’est un métal gris argenté. Il fait partie des éléments du groupe du platine. Les minéraux contenant du palladium sont rares, car il se trouve généralement associé à d’autres métaux du même groupe. Son prix moyen était supérieur à 38 000 € le kilo en 2025 (crédit : James St. John – Wikimédia Commons)

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Guillaume AIGRON
Guillaume AIGRON
Très curieux et tourné vers l'économie, la science et les nouvelles technologies, (particulièrement ce qui touche à l'énergie et les entreprises françaises) je vous propose de de découvrir les dernières actualités autour de cette passion

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