Produire de l’électricité quand elle ne coûte rien ? Une idée qui pourrait faire son chemin.
Les Etats-Unis sont les champions quand il s’agit de trouver de nouvelles manières de gagner des dollars, ou du moins « moins en perdre ». Des ingénieurs américains se sont ainsi posés la question de savoir que faire du surplus d’électricité produit pendant la nuit (les fameuses heures creuses dont on nous parle sans cesse en France).
Pour y répondre, l’équipe du Southwest Research Institute (SwRI), installée au Texas, s’est alliée à la société 8 Rivers, spécialisée dans les cycles de production d’énergie avancés. Ensemble, ils viennent de faire breveter un procédé qui exploite les variations naturelles de prix sur le réseau électrique pour stocker de l’oxygène… et le transformer en électricité propre plus tard. Une idée simple mais qui pourrait faire école.
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Les États-Unis dévoile un frigo pour l’oxygène, branché au prix de l’électricité
Voici comment ça marche en quelques mots. Quand l’électricité est bon marché (typiquement la nuit ou les jours très venteux), on en profite pour produire de l’oxygène en grande quantité à partir de l’air ambiant. Jusque-là, rien de nouveau : c’est ce que font les industriels depuis un siècle.
Sauf qu’ici l’idée est de le liquéfier. On le refroidit à -183 °C pour le transformer en LOX (liquid oxygen). Celui-ci est ensuite stocké dans de gros réservoirs isolés.
Puis, quand la demande grimpe et que l’électricité devient chère, on regazéifie cet oxygène liquide pour l’utiliser dans une centrale de nouvelle génération, qui va générer de l’électricité à haute valeur ajoutée.
En clair : on produit au creux, on consomme au pic. C’est de l’optimisation énergétique appliquée à la lettre.
Un cycle d’énergie qui attrape le CO₂ comme un filet
La centrale en question utilise ce qu’on appelle le cycle Allam-Fetvedt. Il s’agit d’un procédé relativement nouveau où le gaz naturel n’est pas brûlé dans l’air, comme dans une chaudière classique, mais dans un mélange d’oxygène pur et de dioxyde de carbone recyclé.
Pourquoi ce mélange ? Parce qu’il permet une combustion parfaitement contrôlée, qui émet très peu de polluants, et surtout : tout le CO₂ produit est capté dès la sortie, prêt à être stocké ou valorisé. C’est une centrale thermique sans cheminée noire, sans nuages toxiques, sans fuite de carbone dans l’atmosphère.
Le plus étonnant, c’est que les briques technologiques sont déjà connues et maîtrisées depuis des décennies. « L’oxygène liquide, c’est ce qui a permis d’aller sur la Lune », rappelle avec humour Jeffrey Moore, ingénieur chez SwRI. « On n’a rien inventé, on assemble intelligemment ce qui marche déjà. »
Quand le prix du courant devient une horloge de production
Dans ce modèle, l’électricité n’est plus produite en continu, elle est produite intelligemment. SwRI a modélisé les performances du système heure par heure, sur une année complète. Le constat est limpide : dans un monde de plus en plus alimenté par l’éolien et le solaire, les prix de l’électricité varient fortement selon les heures et les saisons.
En hiver, les prix peuvent rester bas pendant des jours si les éoliennes tournent à plein régime. Puis remonter brutalement lors d’un pic de consommation ou d’un ciel trop calme. Ces fluctuations sont appelées à s’amplifier, surtout si la part des énergies renouvelables monte à 30 % ou plus.
Et aujourd’hui ? Il n’existe aucun système de stockage à grande échelle pour absorber ces montagnes russes énergétiques. Ce que propose SwRI, c’est une forme de stockage différé, indirect, mais diablement efficace : produire un « carburant » (l’oxygène liquide) quand l’électricité est la moins chère, et le consommer quand elle vaut le plus.
Une solution qui coche toutes les cases industrielles
Contrairement à beaucoup de concepts high-tech encore en phase de prototype, le système breveté repose sur des technologies déjà matures : la séparation de l’air, la liquéfaction de l’oxygène, la combustion contrôlée dans un cycle fermé. Ce sont des procédés industriels robustes, disponibles, standardisés.
Mieux encore : SwRI veut intégrer ce système dès 2026 à son site STEP Demo, une installation pilote de production d’énergie à base de CO₂ supercritique située à San Antonio. C’est l’un des plus grands sites de test de ce type au monde.
Ajouter l’oxygène liquide et le cycle Allam-Fetvedt permettrait d’en faire l’une des centrales les plus propres et les plus efficientes de la planète.
Et en France, que fait-on des heures creuses ?
En France, le concept des heures creuses n’est pas nouveau. On le connaît surtout dans nos factures EDF : ces plages horaires, souvent entre 22 h et 6 h du matin, où le tarif de l’électricité est réduit. Historiquement, elles ont été pensées pour lisser la demande et éviter de faire tourner des centrales au ralenti. Résultat : des millions de ballons d’eau chaude programmés la nuit, et plus récemment, des bornes de recharge pour voitures électriques connectées à des systèmes de gestion tarifaire.
Aujourd’hui, alors que le réseau français intègre de plus en plus d’électricité d’origine éolienne et solaire, ces heures creuses deviennent des opportunités pour stocker ou déplacer intelligemment la consommation. L’idée ? Produire de l’hydrogène ou recharger des batteries industrielles quand l’électricité est excédentaire, ou même lancer des procédés industriels très gourmands en énergie de façon asynchrone.
Certaines expérimentations, notamment dans les zones rurales ou portuaires, commencent à tester des unités de production d’hydrogène ou de froid industriel qui s’allument la nuit. Ce n’est pas encore à l’échelle d’un pays, mais la logique est là : suivre le rythme du réseau plutôt que de lutter contre.
Si la France adopte un jour une version locale du système SwRI (oxygène liquide comprise) elle pourrait alors tirer parti de ses heures creuses pour alimenter des centrales à cycle fermé à très haut rendement, tout en stockant, au passage, un petit trésor liquide à -183 °C.
Source : Communiqué de presse de SwRI