Un gel intelligent qui rendrait chaque objet unique et infalsifiable.
Une équipe de chercheurs vient de développer un hydrogel conducteur au comportement imprévisible, capable de générer une identité physique inimitable.
À une époque où des implants médicaux falsifiés, des composants électroniques clonés ou des objets connectés piratés peuvent menacer des vies, des systèmes et des milliards d’euros, cette percée ouvre une nouvelle voie : celle d’un identifiant matériel ancré dans la matière elle-même, non reproductible même par une IA.
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Un gel mou, mais un cryptage dur comme l’acier qui donnerait une signature unique impossible à copier
Le secret de cette technologie tient dans un procédé appelé RAC pour Regional Assembly Crosslinking (ou « Assemblage régional interconnecté » en français). Les chercheurs ont utilisé deux polymères bien connus : le polypyrrole (PPy), conducteur d’électricité, et le polystyrène sulfonate (PSS), souple et ionique. Quand on les assemble sous l’effet d’un champ électrique, il se forme des milliers de jonctions microscopiques, sortes de petits carrefours où les électrons et les ions circulent de façon imprévisible.
Et c’est là que la magie opère : chaque gel formé développe une architecture interne différente, un enchevêtrement unique que personne ne peut prédire, ni reproduire, même avec des schémas identiques. Chaque échantillon devient une empreinte digitale physique, comparable à un flocon de neige électronique.
Un comportement si complexe qu’aucune IA n’y comprend rien
Quand on envoie des impulsions électriques dans le gel, celles-ci traversent ce labyrinthe moléculaire de manière extrêmement stable mais totalement imprévisible. Même en répétant l’exact même séquence mille fois, la réponse reste la même à la milliseconde près. Pourtant, si quelqu’un tente de la simuler de l’extérieur, il échoue.
Les chercheurs ont testé les attaques les plus courantes. Même des modèles de machine learning avancés n’ont pas réussi à prédire les réponses du gel. Trop de non-linéarités, trop de variables internes. Le gel est littéralement illisible pour un algorithme.
Un carré de 8×8 impulsions génère plus de 10 quintillions de combinaisons possibles. Et la matière elle-même refuse d’être trahie. C’est du chiffrement naturel, gravé dans la molécule, pas dans un logiciel.
Des temps de réponse ultrarapides et une répétabilité parfaite
La performance ne se limite pas à l’originalité. Le gel atteint 90 % de sa tension maximale en 13 millisecondes, puis retombe à 10 % en moins de 50 ms. Le transfert de charge est rapide, propre, reproductible. Le système est capable de générer plus de 10¹⁹ paires défi-réponse, soit un milliard de milliards de séquences exploitables, bien au-delà des standards actuels de sécurité physique (généralement autour de 10¹⁰).
C’est comme si chaque objet embarquait en lui un mini-cerveau bioélectronique, incapable de mentir, toujours capable de prouver son authenticité, quelles que soient les conditions.
Vers des objets infalsifiables dès leur fabrication
Les applications sont vertigineuses. Ce gel peut être intégré dans :
- des implants médicaux, pour s’assurer qu’ils ne sont pas contrefaits,
- des microprocesseurs, pour empêcher les copies illégales,
- des objets connectés, pour leur donner une identité physique impossible à cloner,
- des capteurs souples, des vêtements intelligents, ou même des étiquettes de sécurité invisibles
Dernière bonne nouvelle : les matériaux sont peu coûteux. Le PPy et le PSS sont bien connus, faciles à synthétiser, et la fabrication se fait par simple polarisation électrique et gravure laser. La production à grande échelle est donc parfaitement envisageable, y compris dans l’industrie.
Vers un monde où chaque objet aura sa propre signature moléculaire
Les chercheurs imaginent déjà une prochaine étape : intégrer le gel directement dans les produits, de manière transparente, et invisible à l’œil nu. Chaque objet embarquerait alors une sorte de passeport moléculaire, activé sur demande, capable de prouver son identité sans connexion internet, sans batterie, et sans circuit imprimé.
Alors que le monde numérique ne cesse de migrer vers l’intelligence embarquée, cette invention inverse la logique : c’est la matière elle-même qui devient intelligente.
Source :
Tailoring Topological Network of Conductive Hydrogel for Electrochemically Mediated Encryption (en français « Ajustement du réseau topologique d’un hydrogel conducteur pour un chiffrement médié par voie électrochimique »)
Yuke Yan, Xinyue Liu, Chuanjie Liu, Zhou Li, Huiru Yun, Yanfei Zhao, Fei Zhao
First published: 11 October 2025
https://doi.org/10.1002/adma.202507637
Image : Fines plaques de gélatine transparentes posées sur un bol, dans lequel elles semblent être destinées à être dissoutes. (crédit : Danielle dk – Wikimedia Commons)