Airbus Defence and Space et Quantum Systems ont annoncé leur coopération renforcée à l’ouverture du salon du Bourget 2025. Une alliance stratégique matérialisée par un protocole d’accord qui dépasse le simple partenariat industriel : elle s’inscrit dans une ambition géopolitique claire, celle de construire un écosystème souverain d’intelligence aérienne tactique au service des forces armées européennes.
Intégrer la reconnaissance aérienne dans les systèmes d’information tactiques
L’objectif de ce rapprochement est précis : permettre une intégration fluide et en temps réel des données de reconnaissance issues de drones dans les systèmes de commandement et de contrôle existants.
Cela implique de concevoir des interfaces interopérables, adaptables à la diversité des architectures numériques militaires. Contrairement aux approches propriétaires, Airbus et Quantum Systems misent sur l’ouverture des standards, afin que les données collectées restent entièrement maîtrisées par les États utilisateurs. Cette orientation rejoint une exigence technique et politique fondamentale : garantir que la technologie serve l’intérêt stratégique européen, sans dépendance à des opérateurs tiers non européens.
Répondre à l’accélération des conflits par des architectures évolutives
Le contexte militaire en Ukraine agit comme un révélateur des besoins opérationnels contemporains : capacité à déployer des drones rapidement, résilience face à la guerre électronique, interconnexion constante entre unités mobiles et centres de décision.
Dans ce cadre, Airbus propose d’intégrer l’architecture modulaire MOSAIC de Quantum Systems sous le CombatCloud, une infrastructure numérique développée par l’avionneur pour centraliser le traitement des données tactiques. Le résultat attendu : un réseau de reconnaissance multi-couches, allant des très hautes altitudes (satellites, avions pilotés) jusqu’au plus proche du sol (drones tactiques autonomes). Chaque niveau alimente un socle de données partagé, interprété par des modules d’IA embarquée et traité localement grâce à l’edge computing.
Une IA de terrain, orientée opérateur
Contrairement à des plateformes centralisées de traitement algorithmique, les solutions embarquées par Quantum Systems s’appuient sur une analyse immédiate des données en vol. Cela permet, par exemple, de détecter automatiquement des anomalies ou des cibles, de prioriser les flux selon leur criticité, et de générer des alertes pour les unités au sol sans attendre la validation d’un commandement distant.
L’ensemble repose sur une infrastructure eVTOL (drones à décollage et atterrissage vertical électrique) qui assure l’autonomie logistique des capteurs. Ces drones, conçus pour des missions de renseignement, surveillance et reconnaissance (ISR), intègrent directement les composants d’analyse et de décision.
De la simulation au déploiement sur le champ de bataille
Les deux industriels prévoient également de renforcer leur collaboration dans les environnements de simulation numérique et d’entraînement. Cela suppose de connecter les jumeaux numériques des futurs champs de bataille à des scénarios réalistes, basés sur les enseignements des conflits récents. Les opérateurs militaires pourront ainsi s’entraîner dans des conditions simulant des déploiements multi-domaines, avec un niveau de fidélité élevé dans les échanges d’information, les conditions météo, ou les comportements adverses.
Ce type de simulation requiert une modélisation fine des comportements algorithmiques, des interactions logicielles entre capteurs, et une granularité des événements tactiques à l’échelle sub-métrique.
Une chaîne industrielle européenne distribuée et active
Quantum Systems, fondée en 2015 près de Munich, dispose déjà de capacités de production et de recherche avancées en Europe, notamment en Allemagne, en Roumanie et en Ukraine. Cette implantation permet une agilité industrielle face à des scénarios de production urgents. Le lien direct entre le terrain de conflit ukrainien et les cycles de développement R&D apporte une réactivité dans les évolutions produits, difficilement égalable dans un modèle plus centralisé.
L’intégration de ces produits dans la stratégie d’Airbus offre une profondeur industrielle complémentaire : capacité à mutualiser des développements avec les programmes européens (Eurodrone, SCAF), mise en réseau des systèmes de défense nationaux, et interopérabilité OTAN assurée.
Une réponse politique à un impératif technologique
Derrière cette annonce se profile une ambition politique : reprendre la main sur l’autonomie des systèmes de mission en Europe, dans un contexte de dépendance technologique aux États-Unis et à la Chine.
En s’accordant sur une logique de transparence technologique, d’ouverture des interfaces, et de mutualisation de la donnée au profit des utilisateurs finaux (les forces armées), Airbus et Quantum Systems dessinent un contre-modèle aux systèmes fermés et propriétaires.
L’enjeu dépasse donc la simple innovation technologique : il s’agit d’un rééquilibrage stratégique des rapports de force numériques dans les capacités de défense du continent.