Paradoxe historique : la fermeture d’écoles de médecine aux États-Unis a entraîné une baisse de la mortalité infantile, de la mortalité non infantile et de la mortalité totale au début du 20e siècle

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Entre 1900 et 1930, les États-Unis ont vu disparaître près de la moitié de leurs écoles de médecine. Ce mouvement n’a pas été spontané. Il s’inscrit dans une réforme initiée par la publication, en 1910, d’un rapport au retentissement historique : Medical Education in the United States and Canada, également connu sous le nom de Rapport Flexner. Commandité par la Fondation Carnegie, ce travail procédait à une évaluation rigoureuse de chaque école de médecine du pays. Le constat était accablant : enseignement approximatif, absence de lien avec les hôpitaux universitaires, standards scientifiques quasi inexistants. En conséquence, plus de 40 % des établissements ont fermé ou fusionné entre 1905 et 1915.

Un paradoxe mesurable : la mortalité baisse malgré moins de médecins

Des chercheurs de Carnegie Mellon, Stanford et Marquette ont étudié les effets de ces fermetures sur la santé publique à l’échelle des comtés. Leur méthodologie repose sur une variable d’« intensité de fermeture » : plus un comté était proche géographiquement d’une école fermée, et plus il dépendait historiquement de ses diplômés, plus son exposition était considérée comme forte. Ce gradient a permis une analyse fine.

Les résultats surprennent :

  • 4 % de médecins en moins par habitant dans les comtés exposés.
  • 8 % de réduction de la mortalité infantile.
  • 4 % de baisse de la mortalité non-infantile.
  • 3 % de diminution de la mortalité totale.

Ces effets ne sont pas anecdotiques. En les appliquant à la population de l’époque, cela représenterait environ 16 000 décès d’enfants évités chaque année, et 38 000 vies adultes épargnées.

Un effet qualité : pourquoi moins peut être mieux

Contrairement à une intuition répandue, la présence de plus nombreux médecins n’est pas toujours corrélée à une amélioration de la santé publique. L’étude met en évidence un facteur essentiel : la qualité de la formation initiale.

Les décès évités concernent principalement des affections particulièrement sensibles à la compétence clinique :

  • Infections aiguës, bactériennes ou virales.
  • Maladies de la petite enfance nécessitant des diagnostics précoces.

Les auteurs notent que d’autres paramètres, comme la présence d’un service de santé publique ou le nombre d’hôpitaux, ne sont pas corrélés à cette baisse de mortalité. Le facteur différenciant semble être exclusivement lié à la qualification du personnel médical.

Un rééquilibrage silencieux du marché médical

La baisse du nombre de diplômés aurait pu engendrer un déficit critique de praticiens. Mais le marché médical a ajusté ses équilibres.

Deux mécanismes sont observés :

  • Les médecins en poste ont retardé leur départ en retraite, assurant une continuité dans les soins.
  • Certains ont migré vers les zones les plus touchées par les fermetures, là où les besoins se faisaient sentir.

Autre évolution notable : une augmentation de 7 % du nombre d’infirmières dans les comtés affectés. Ces professionnels ont probablement absorbé une partie des tâches de soins, compensant la raréfaction des médecins.

Les anciens diplômes dévalorisés

Un autre effet, plus discret, tient à l’impact réputationnel : les médecins diplômés d’écoles fermées ont vu leur légitimité remise en cause. Cela a probablement modifié les comportements des patients, renforcé la demande de qualité, et désincité les futures générations à se former dans des établissements à la légitimité incertaine.

Un effet systémique et durable

L’intérêt de cette étude réside aussi dans sa méthodologie historique. En croisant les données du recensement américain, les statistiques de mortalité et les archives des écoles de médecine, les chercheurs ont construit une démonstration causale robuste. Leur conclusion est claire : supprimer des établissements de mauvaise qualité a eu un impact mesurable, durable, et favorable sur la santé publique.

Une leçon actuelle pour les politiques de santé ?

Aujourd’hui encore, la question de la formation des professionnels de santé fait débat : faut-il ouvrir davantage de places en médecine ? Accueillir plus d’étudiants étrangers ? Créer des écoles privées ? Cette étude invite à un discernement fondé non pas sur la quantité, mais sur la qualité. Car ce que l’histoire suggère ici, c’est que trop de médecins mal formés peuvent nuire davantage que trop peu de bons médecins. Pour autant ce qui était valable il y a un siècle ne l’est peut être plus aujourd’hui, ce qui rend la comparaison sans doute hasardeuse.

Pour en savoir plus : http://dx.doi.org/10.3386/w33937

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Eric GARLETTI
Eric GARLETTIhttps://www.eric-garletti.fr/
Je suis curieux, défenseur de l'environnement et assez geek au quotidien. De formation scientifique, j'ai complété ma formation par un master en marketing digital qui me permet d'aborder de très nombreux sujets.

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