Une “riziculture énergétique” en préparation en Corée du Sud.
Une cérémonie officielle, des pelles dans la terre… et un virage énergétique d’envergure mondiale. À Gyeongju, dans la province de Gyeongsang du Nord, la Corée du Sud vient de poser la première pierre de la plus grande centrale à pile à hydrogène jamais construite. Une fois en service, elle produira 108 mégawatts d’électricité, de quoi alimenter 270 000 foyers chaque année.
Un projet titanesque à plus de 550 millions d’euros, qui lie industrie, innovation, transition énergétique… et ambition géopolitique.
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La Corée du Sud lance la plus grande centrale à hydrogène du monde : 270 000 foyers alimentés dès 2028
Le gouverneur Lee Cheol-woo l’a dit sans détour : “L’énergie est le riz de l’industrie du futur”. Cette phrase, prononcée lors du lancement du Gangdong Hydrogen Fuel Cell Power Generation Project, donne le ton. L’objectif de ce chantier est clair : installer à Gyeongju un socle énergétique propre, continu et modulable, capable de servir de levier au développement d’écosystèmes industriels puissants. Notamment des centres de données, des serres intelligentes, des usines de composants avancés.
L’usine reposera sur une technologie à piles à hydrogène à haute efficacité, alimentées par de l’hydrogène produit sur place à partir de gaz naturel (on parle ici de “hydrogène gris”), issu de méthane sans captation du CO₂. Le but est de stabiliser le réseau électrique dans la durée tout en posant les jalons d’un passage futur vers l’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables.
De l’électricité pour le réseau, et bien plus
En fournissant de l’électricité de base (baseload) au réseau national pendant 20 ans, l’usine permettra de sécuriser l’approvisionnement dans une région stratégique, tout en garantissant un retour sur investissement grâce à un contrat de certificats d’énergie renouvelable (REC) d’une durée de deux décennies.
L’impact économique attendu est considérable :
- 1 200 emplois créés pendant la construction
- Plus de 49 millions d’euros de recettes fiscales générées
- Effet d’entraînement sur les investissements privés et les projets industriels locaux
La Corée du Sud a longtemps importé sa capacité énergétique via le gaz ou le charbon. Ce projet marque un tournant vers l’indépendance énergétique propre, avec une technologie modulable, sans intermitence, et sans combustion directe.
Le financement : un modèle hybride public-privé
Le chantier est soutenu par le Regional Revitalization Investment Fund, un fonds mixte mêlant État, collectivités locales et investisseurs privés. Ce mécanisme avait déjà permis de financer le terminal GNL de Jeonnam ou encore le complexe touristique de Danyang. Ici, c’est un nouveau pas franchi : un projet énergétique, industriel et territorial en même temps, pensé pour durer et attirer des capitaux.
Ce type de montage pourrait devenir un modèle d’exportation pour l’Asie, avec une structure souple, adaptable et rassurante pour les investisseurs comme pour les élus.
Une montée en puissance technologique
Avec ses 108 MW, le projet de Gyeongju dépasse largement le précédent record mondial, détenu par la centrale Shin Incheon Vision Dream (79 MW t déjà en Corée du Sud), inaugurée pour alimenter 250 000 foyers et chauffer 44 000 logements.
Voici un comparatif des principales centrales à pile à hydrogène dans le monde :
Centrale | Puissance (MW) | Pays | Foyers alimentés |
Gangdong Hydrogen (2028) | 108 | Corée du Sud | 270 000 |
Shin Incheon Vision Dream (2022) | 79 | Corée du Sud | 250 000 + 44 000 en chauffage |
Gyeonggi Do FC Project (à venir) | 50 | Corée du Sud | ≈ 130 000 |
Riverside Fuel Cell (US) | 30 | États-Unis | ≈ 80 000 |
Avec ce projet, la Corée du Sud s’impose comme le leader mondial de l’hydrogène stationnaire, non pas sur le terrain de la mobilité (voitures à hydrogène), mais sur l’alimentation de base du réseau, un enjeu beaucoup plus structurant.
Une technologie de “transition” assumée
Bien que basée sur de l’hydrogène gris, la centrale de Gyeongju est pensée comme une technologie-relais. Le gaz naturel est utilisé pour produire l’hydrogène localement, limitant les pertes et assurant un approvisionnement constant. Ce choix technique permet d’installer l’infrastructure de production, de transport, de stockage et de conversion dès aujourd’hui, en attendant que l’électrolyse verte devienne économiquement compétitive à grande échelle.
Ce principe de “réalisme technologique”, à savoir combiner efficacité immédiate et anticipation du long terme est un marqueur fort de la stratégie sud-coréenne en matière de transition énergétique.
Sources :
- Gyeongju City Council, communiqué du 29 septembre 2025
- Regional Revitalization Investment Fund
- Georgina Jedikovska, Energy World News
- Shin Incheon Vision Dream project – official figures
- Ministère sud-coréen du commerce, de l’industrie et de l’énergie (MOTIE)
Image : Palais Donggung et son reflet dans l’eau de l’étang Wolji, à l’heure bleue, à Gyeongju, en Corée du Sud. (Crédit : Basile Morin)