Le vent reprend la mer sur la ligne Brésil–Chine.
35 mètres de haut, 5 mètres de large, et une promesse de couper la consommation de fioul sans changer une seule route maritime. À l’heure où les cargos avalent du pétrole comme on boit du café, le Grand Pioneer, un mastodonte de 325 000 tonnes de port en lourd (32 fois la tour Eiffel et ses quelques 10 000 tonnes), porte en effet bien son nom puisqu’il va lancer une nouvelle ère pour le transport maritime avec quatre voiles rotatives géantes qui pourraient amener à réduire les émissions d’un secteur responsable de 3% des émissions de C0² d’après les derniers rapports du GIEC.
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Le Grand Pioneer, colosse de 325 000 tonnes propulsé par le vent
L’installation s’est déroulée dans le chantier naval de COSCO Zhoushan, en Chine, sur le Grand Pioneer, un Very Large Ore Carrier ou VLOC (« très grand vraquier de minerai » en français) opéré par U-Ming Marine Transport, une société taïwanaise réputée pour ses navires dual-fuel (GNL/fioul).
Le partenaire technologique est Anemoi Marine Technologies, une société britannique spécialisée dans la propulsion éolienne pour navires de commerce. Ensemble, ils ont fixé sur le pont quatre voiles rotatives de 35 mètres de haut, livrées prêtes à l’emploi depuis leur usine sur le fleuve Yangtsé. Transportées par barge. Installées en 48 heures. Testées et mises en service en cinq jours.
Rapide, propre, sans soudure, un vrai “Plug-and-sail” comme diraient les anglais (« prêt à naviguer » en français) !
Le retour du Magnus effect
Ces voiles ne sont pas des voiles comme on les imagine. Ce sont des cylindres verticaux en rotation, qu’on appelle rotorsails (désolé pour les plus récalcitrants aux anglicismes, la voile est un domaine largement anglophone). Leur principe physique repose sur le Magnus effect : lorsque le vent frappe un cylindre en rotation, il crée une différence de pression, générant une poussée latérale. C’est de l’aérodynamique pure et c’est redoutablement efficace : jusqu’à 12 % d’économie de carburant par an sur une ligne transocéanique comme le Brésil–Chine, soit des dizaines de milliers de litres de fioul économisés par voyage et donc moins de CO₂, moins de NOx, moins de particules etc.
Des voiles intelligentes, pliables et pilotables
Sur un cargo de 325 000 tonnes, on ne se permet pas le luxe de bloquer un port ou de raser un pont. Ces voiles ont donc été pensées pour s’adapter : elles se replient automatiquement pour passer sous les ponts ou pendant les manœuvres au port.
Pendant la première traversée, les équipes d’Anemoi ont embarqué à bord pour former l’équipage et valider les protocoles de gestion en mer. Le but : que tout fonctionne simplement, en intégration complète avec les systèmes du navire.
« Nous sommes fiers d’avoir réalisé une nouvelle installation réussie de Rotor Sail, en fournissant une technologie entièrement assemblée qui réduit au minimum le temps passé au chantier et maximise la valeur pour nos clients », a déclaré Clare Urmston, directrice générale d’Anemoi.
Un pas vers la décarbonation, sans révolution de flotte
Ce qui rend ce projet remarquable, c’est sa logique de modernisation douce. On ne remplace pas toute la flotte : On adapte, on optimise et on fait mieux avec ce qu’on a déjà.
U-Ming devient au passage le premier armateur taïwanais à équiper un cargo avec ce type de technologie, en partenariat avec la société minière brésilienne Vale, qui affrète le navire sur une base régulière.
« L’installation de Rotor Sails sur le Grand Pioneer constitue une étape importante dans le parcours de décarbonation de U-Ming et reflète notre conviction que l’avenir du transport maritime mondial doit être à la fois durable et compétitif », a déclaré Jeff Hsu, vice-président de U-Ming.

Détails techniques des voiles du Grand Pioneer
Élément | Spécification |
Type de navire | VLOC (Very Large Ore Carrier) |
Port en lourd | 325 000 tonnes |
Voiles installées | 4 voiles rotatives Anemoi |
Hauteur des voiles | 35 mètres |
Diamètre | 5 mètres |
Principe physique | Effet Magnus (rotor en rotation) |
Économie de carburant estimée | 10 à 12 % par an |
Ligne commerciale | Brésil – Chine |
Armateur | U-Ming Marine Transport (Taïwan) |
Installation | COSCO Zhoushan, Chine |
Technologie voile | Plug-and-play, repliable, automatisée |
Fournisseur | Anemoi Marine Technologies (Royaume-Uni) |
Et côté français, qu’est-ce qu’on attend pour hisser les voiles ?
En France aussi, le vent commence à souffler dans les bureaux d’études. À Saint-Nazaire, le chantier naval Chantiers de l’Atlantique travaille depuis des années sur son projet SolidSail, une voile rigide en composite de 1 200 m² montée sur un mât pivotant de 76 mètres. On ne parle plus de cargos, mais de voiliers de croisière géants comme le Silenseas, capable d’embarquer des centaines de passagers en profitant du vent ou bien sûr le Corinthian, qui avec 220 mètres de long sera le plus grand voilier de luxe du monde en 2026.
À Nantes, la start-up AYRO a déjà testé les Oceanwings, des ailes rigides automatisées qui équipent le navire Canopée, conçu pour transporter des pièces de la fusée Ariane depuis l’Europe jusqu’en Guyane.
Bref, la France, si elle n’a pas encore équipé de cargo géant avec ce type de voile ne semble pas en reste et pourrait être amené à y transposer sa propre technologie d’ici quelques années.
Source : Communiqué de presse d’Anemoi Marine