L’Antarctique murmure à l’oreille des climatologues.
Les scientifiques du projet Beyond EPICA ont fini d’analyser les 190 derniers mètres d’une carotte de glace de 2 800 mètres de profondeur, forée en Antarctique de l’Est.
Ce petit bout de glace contient l’air exact que l’on respirait il y a 1,2 million d’années. À l’intérieur : du dioxyde de carbone, du méthane, des poussières, des isotopes… un cocktail figé, témoin de ce que la Terre vivait à l’époque, et donc un outil très précieux pour les climatologues du monde entier qui vont encore bénéficier d’une source inespéré de données.
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1,2 million d’années dans un glaçon et un “trésor” à exploiter pour les scientifiques du monde entier
Tout commence à Little Dome C, un désert blanc à perte de vue, à 3 200 mètres d’altitude sur la calotte antarctique. Là-bas, le silence est total. Sauf quand la foreuse descend lentement dans la glace, comme une perceuse de géant qui extrait, section après section, des cylindres de glace parfaitement translucides.
Pendant plus de dix ans, des dizaines de scientifiques venus de dix pays européens ont œuvré pour extraire, transporter, stocker, puis analyser cette matière venue des âges glaciaires. Et après sept semaines de fusion lente et méthodique, les derniers 190 mètres viennent enfin de livrer leur message.
C’est la plus longue archive climatique continue jamais obtenue.
Des bulles d’air pour comprendre les mystères de l’âge de glace
Pourquoi s’embêter à fondre un glaçon pendant des semaines ? Parce que cette glace révèle un tournant majeur dans le fonctionnement du climat terrestre.
Il y a environ 1 million d’années, quelque chose a changé. Les cycles climatiques (allers-retours réguliers entre périodes glaciaires et plus chaudes) sont passés d’une durée de 41 000 ans à 100 000 ans. Ce basculement est documenté par les sédiments marins, certes mais on n’avait aucune donnée directe sur l’atmosphère de l’époque.
C’est exactement ce que livre Beyond EPICA : une machine à remonter le climat, qui va peut-être expliquer pourquoi la Terre a commencé à respirer autrement.
Un laboratoire ambulant pour faire parler la glace
La glace, bien sûr, ne parle pas mais elle libère ses secrets si on sait l’écouter. Le British Antarctic Survey a développé une technique d’analyse nommée “continuous flow analysis“. Le principe est assez simple : faire fondre la glace au ralenti, goutte à goutte, pendant que des capteurs mesurent en direct les concentrations de gaz, les acides, les poussières volcaniques, et même les pollens fossiles.
C’est un peu comme lire un livre où chaque millimètre correspond à plusieurs siècles.
Loin d’être une recherche scientifique purement britannique, c’est toute une chaîne scientifique qui a commencé à se mettre en place : le CO₂ est mesuré en Allemagne, le méthane en Suisse, les isotopes en France, pendant que les données sont croisées, recalées, modélisées. Une symphonie de science pour percer les lois du climat passé.

Quand le passé éclaire l’avenir
Lire le passé, c’est prévoir le futur. Les chercheurs veulent ainsi savoir comment le climat a réagi, autrefois, à des concentrations variables de gaz à effet de serre. Ils espèrent affiner les modèles pour prévoir jusqu’où les températures pourraient monter, à quel rythme les calottes polaires peuvent fondre, ou comment les cycles naturels peuvent amplifier ou ralentir un réchauffement d’origine humaine.
C’est aussi un outil de vérité. Les modèles climatiques ne peuvent plus se contenter d’approximations. Grâce à Beyond EPICA, chaque donnée est ancrée dans une réalité mesurée, et non plus estimée.
L’Europe au chevet de la mémoire du monde
Ce projet titanesque est piloté par l’Italie, via le CNR (Conseil national de la recherche), avec un financement de l’Union européenne via Horizon 2020. Il mobilise 12 instituts de recherche, dont ceux de France, d’Allemagne, de Norvège, du Royaume-Uni ou encore des Pays-Bas.
Chaque pays amène une pièce du puzzle. Tous partagent une ambition commune : comprendre ce que la Terre a déjà vécu, pour éviter de tomber à nouveau dans les pièges du climat.
Et pour les scientifiques sur le terrain, comme la glaciologue britannique Liz Thomas, le moment est intense :
« C’est un moment historique : nous détenons désormais le plus long enregistrement continu issu de carottes de glace, offrant une véritable empreinte du climat terrestre. Parvenir à ce stade, après avoir fait fondre 190 mètres des couches les plus anciennes de la carotte, a été un exploit colossal. L’âge exact de la glace ne sera connu qu’une fois toutes les données compilées, mais nos meilleures estimations indiquent qu’elle dépasse 1,2 million d’années. La pression était énorme, le travail d’équipe considérable, et atteindre ce résultat a été immensément gratifiant. »
Source : British Antarctic Survey
Image de mise en avant : Des chercheurs du British Antarctic Survey (BAS) mènent une étude sur un site nommé Little Dome C, situé à 50 kilomètres de la station franco-italienne Concordia, au Dôme C.