Le Groenland mise sur Eutelsat pour sa couverture numérique.
C’est un choix qui n’a pas fait la “Une” des journaux et elle est pourtant lourde de sens. Le Groenland vient de choisir son allié technologique pour sa couverture numérique et ce ne sera pas l’américain Starlink mais bien Eutelsat, un opérateur français !
L’objectif sera de connecter un territoire plus grand que 4 fois la France, mais presque vide de routes, de câbles et de relais. Un pays aux confins du monde, qui compte une des densités de population les plus faibles au monde avec seulement 56 000 habitants sur 2 166 086 km² soit 0,03 habitant/km².
Le 1er octobre 2025, Tusass, opérateur public groenlandais, a officialisé l’élargissement de son partenariat avec Eutelsat, pour généraliser au Groenland l’accès à la constellation OneWeb, ces satellites en orbite basse capables de fournir Internet dans les endroits les plus reculés.
Une décision stratégique qui est aussi un petit pied de nez à l’Amérique de Musk et Trump !
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Eutelsat choisi par le Groenland pour rompre son isolement numérique
Au Groenland, plus qu’ailleurs, la connectivité n’est pas un confort, c’est une nécessité. Dans les zones arctiques où l’hiver coupe tout, où les secours mettent parfois des jours à atteindre un hameau, l’accès à l’information peut sauver des vies. Les téléconsultations médicales, les alertes météo, les appels d’urgence : tout repose sur une infrastructure résiliente.
Avec ses satellites en orbite polaire, Eutelsat peut justement offrir une couverture continue, rapide et sécurisée, même au cœur des tempêtes. Grâce à l’accord signé avec Tusass, les services vont s’étendre à l’ensemble du territoire groenlandais, y compris l’est et le nord, jusqu’ici à peine desservis.
En n’oubliant pas que ce n’est pas seulement l’Internet des habitants qui est concerné mais aussi celles des infrastructures critiques : navires en mer, avions, bases scientifiques, postes de secours, réseaux gouvernementaux. Autant de points stratégiques qui ont besoin d’une liaison stable, peu importe la météo ou le relief.
Un choix purement technique…
À l’heure où les satellites sont devenus des enjeux de souveraineté, le choix d’un partenaire européen plutôt qu’américain n’est pas anodin. Tusass avait discuté avec plusieurs opérateurs, y compris Starlink, filiale de SpaceX. Mais c’est finalement Eutelsat, société française, cotée à Paris et Londres, qui a été retenue.
Ce choix répond à plusieurs logiques. D’abord, celle de la redondance : en diversifiant ses fournisseurs, le Groenland renforce sa résilience numérique. Ensuite, celle de l’inclusion : le partenariat prévoit non seulement la fourniture de bande passante, mais aussi le développement d’un écosystème local, incluant formation, maintenance et services de proximité.
Cyril Dujardin, responsable de la connectivité chez Eutelsat, l’a bien résumé : « Les infrastructures critiques sont désormais un enjeu de premier plan dans toute l’Europe. C”est pourquoi nous sommes ravis de pouvoir continuer à accompagner Tusass dans sa volonté de connecter les communautés isolées, de mettre en place des réseaux de communication dorsale et de fournir des services essentiels tels que les missions de secours et les opérations de sûreté et de sauvetage en mer. Ce partenariat élargi montre à quel point les satellites en orbite basse (LEO) jouent un rôle croissant en matière de résilience et de redondance, et répondent aux besoins en constante évolution des régions isolées tant en termes de souveraineté que de connectivité commerciale. Face à la volonté des pays de la région arctique de renforcer leurs infrastructures, Eutelsat possède des ressources inégalées permettant de relier les populations et les infrastructures critiques, partout où elles se trouvent. »
Et un message : « le Groenland n’est pas à vendre »
Derrière cette décision, on ne peut pas s’empêcher de sentir comme un parfum de géopolitique qui flotte dans l’air glacé du Groenland.
Depuis 2019, un certain Donald Trump a ouvertement exprimé son souhait d’acheter l’île au Danemark. Une idée jugée fantasque (et pour laquelle il est récemment revenu à la charge après sa réélection), mais qui a brutalement rappelé au monde la valeur stratégique de ce territoire immense, posé entre l’Amérique du Nord et l’Europe.
Son sous-sol regorge de minerais rares, ses côtes dominent les routes arctiques, et ses bases militaires, comme celle de Thulé, restent des points névralgiques du dispositif américain. Dans ce contexte, choisir un opérateur européen plutôt qu’américain, c’est aussi une manière subtile pour Nuuk d’affirmer son indépendance.
Officiellement, il ne s’agit que de technologie. Officieusement, ce choix résonne comme un message clair : le Groenland ne se laissera pas annexer, ni symboliquement, ni numériquement.
Une technologie qui a déjà fait ses preuves
La constellation OneWeb, aujourd’hui opérationnelle sur l’ensemble de l’hémisphère nord, a déjà prouvé sa robustesse au Canada, en Alaska et dans le nord de la Scandinavie. Elle repose sur un réseau de satellites évoluant à 1 200 kilomètres d’altitude, bien plus bas que les satellites géostationnaires classiques, ce qui permet un débit plus rapide et une latence très faible, essentielle pour les communications vocales ou la télémédecine.
Paramètre | Satellites OneWeb | Satellites géostationnaires |
---|---|---|
Altitude | 1 200 km | 35 786 km |
Latence moyenne | 50 à 70 ms | 600 ms et plus |
Réactivité en cas d’urgence | Quasi instantanée | Retard notable |
Le Groenland, avec ses fjords infranchissables et ses températures extrêmes, offre un terrain d’expérimentation exigeant. Si cela fonctionne ici, cela fonctionnera partout. Et c’est exactement ce que cherche Eutelsat : prouver que sa constellation n’est pas un gadget, mais un outil stratégique pour les États, au même titre que les routes ou l’électricité.
Eutelsat, un acteur historique en pleine mutation
Pour l’exercice clos au 30 juin 2025, Eutelsat a enregistré un chiffre d’affaires total d’environ 1,24 milliard d’euros, en progression de +1,6 % sur un an. Plus notable encore : le segment des satellites en orbite basse (LEO), notamment via la filiale OneWeb, a vu ses revenus bondir de +84 %, pour atteindre environ 186,8 millions d’euros.
Mais tous les indicateurs ne sont pas au vert : la diffusion vidéo traditionnelle (satellites géostationnaires) a reculé, avec des revenus d’environ 608 millions d’euros, en baisse de –6,5 %.
Sur le plan stratégique, Eutelsat est ainsi en pleine mutation :
- Le groupe renforce son rôle dans l’écosystème européen de souveraineté numérique ; il a par exemple réalisé à l’hiver 2025 le premier test au monde de réseau mobile 5G « non terrestre » (NTN) utilisant des satellites LEO, en collaboration avec Airbus et MediaTek.
- Une augmentation de capital massive (environ 1 350 millions d’euros) est en cours, avec le soutien de l’État français, qui souhaite devenir actionnaire principal (~30 %) du groupe afin de sécuriser l’infrastructure européenne.
En résumé : Eutelsat est désormais entre deux mondes — celui de son héritage géostationnaire en décroissance, et celui d’une nouvelle ère LEO/NTN en plein essor. Ce virage est coûteux, complexe, mais potentiellement déterminant : pour Eutelsat, réussir ce passage c’est passer de diffuseur satellite à « fournisseur d’Internet spatial souverain ».
Source : Communiqué de presse d’Eutelsat