Une carotte de glace de 12 000 ans retrouvée dans les Alpes dévoile les secrets climatiques de l’âge de glace.
Posée à plus de 4 304 mètres d’altitude, la calotte glaciaire du Dôme du Goûter vient de livrer un trésor qui dormait sous la glace depuis la dernière période glaciaire.
Une équipe de chercheurs internationaux, pilotée par le Desert Research Institute (DRI) aux États-Unis, vient de finir l’analyse d’une carotte de glace de 40 mètres délivrant un des plus anciens enregistrements climatiques jamais retrouvés dans les Alpes européennes. Un véritable voyage dans le temps !
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Une machine à remonter le temps enfouie dans la glace des Alpes à 4 000 mètres d’altitude
Cette carotte glaciaire, forée en 1999 à proximité du Mont Blanc, n’a pas été immédiatement analysée. Conservée avec précaution pendant des années, elle a fini par révéler tout son potentiel en 2025, grâce aux techniques d’analyse modernes. Le résultat est à la hauteur des espoirs : l’échantillon contient des couches de glace âgées de plus de 12 000 ans, datant directement de la dernière grande période froide qui a recouvert l’Europe de glaciers.
Chaque centimètre de glace représente des mois, voire des années d’histoire climatique. En les lisant couche par couche, les chercheurs accèdent à une mémoire atmosphérique précieuse, figée dans le froid comme une pellicule photo géologique.
Des aérosols fossiles et des poussières d’histoire
Dans cette archive glacée, on ne trouve ni fossiles, ni os, ni pierres. Ce sont les particules invisibles qui racontent l’histoire : aérosols, sels marins, poussières sahariennes, pollen, traces de pollution. Tous ces éléments piégés dans la glace permettent de reconstruire le puzzle du climat au fil des millénaires.
Grâce à une technique appelée analyse en flux continu, les chercheurs ont littéralement fait fondre la glace goutte à goutte pour en examiner la composition chimique, ce qui a fait apparaître deux climats bien distincts dans la carotte, celui de la période glaciaire et celui de l’Holocène, la période tempérée actuelle.
Les différences sont saisissantes. Par exemple, la température moyenne pendant l’âge de glace était inférieure de 3 °C à celle d’aujourd’hui. Quant aux aérosols de poussière, ils étaient jusqu’à huit fois plus présents qu’actuellement, principalement à cause des vents puissants chargés de sable en provenance du Sahara.
Les Alpes comme théâtre des grandes transitions climatiques
Cette carotte est particulièrement précieuse car elle provient du cœur de l’Europe, une région où l’histoire humaine a laissé de nombreuses traces. Cela permet de croiser les données climatiques avec les bouleversements historiques : apparition de l’agriculture, expansion des forêts, premières industries.
Les dépôts de phosphore dans la glace racontent ainsi l’histoire silencieuse des paysages : au sortir de l’âge glaciaire, les forêts se sont étendues avec le réchauffement, avant d’être peu à peu grignotées par les activités humaines. Cette transition est lisible couche par couche, comme si la Terre nous livrait un journal intime chimique.
Du sel marin aux vents d’ouest : des indices venus de loin
Un autre marqueur fascinant, ce sont les sels marins. Leur concentration donne des indices sur la force et la direction des vents. Pendant la période glaciaire, les données indiquent des vents d’ouest bien plus puissants que ceux d’aujourd’hui. Ces vents ont transporté des aérosols salés depuis l’Atlantique, qui ont été piégés dans la glace alpine.
Or ces aérosols jouaient un rôle actif sur le climat, en influençant la formation des nuages et la réflexion du rayonnement solaire. Ce détail, souvent sous-estimé dans les anciens modèles climatiques, pourrait bien expliquer certaines incohérences entre simulation et réalité.
Quand la poussière saharienne redessine les modèles climatiques
Une des surprises majeures de l’étude concerne la quantité de poussière saharienne retrouvée dans les couches les plus anciennes. Les chercheurs ont mesuré des niveaux huit fois plus élevés qu’à l’époque actuelle. Ce pic de poussières est attribué à des plumes désertiques puissantes, qui ont franchi la Méditerranée et se sont déposées jusque dans les Alpes.
Cette observation remet en cause certains modèles climatiques établis, qui sous-estimaient l’impact du Sahara sur l’Europe. En réalité, ces poussières ont probablement joué un rôle climatique majeur, notamment en refroidissant l’atmosphère par leur pouvoir réfléchissant.
Une mémoire pour mieux lire l’avenir
En scrutant le passé le plus gelé de l’Europe, cette carotte de glace alimente une meilleure compréhension des grands cycles climatiques, notamment les transitions entre périodes glaciaires et interglaciaires. Ces données sont précieuses pour affiner les modèles de prévision climatique, alors que la planète entre dans une phase de changements rapides.
Comme le souligne Joe McConnell, directeur du laboratoire de carottes de glace au DRI : « Pour la première fois, on dispose d’un enregistrement chimique alpin continu qui remonte jusqu’au Mésolithique. Cela nous donne la gamme maximale de variations naturelles d’aérosols que le climat européen peut produire. »
Source :
Michel Legrand, Joseph R McConnell, Susanne Preunkert, David Wachs, Nathan J Chellman, Kira Rehfeld, Gilles Bergametti, Sophia M Wensman, Werner Aeschbach, Markus K Oberthaler, Ronny Friedrich, Alpine ice core record of large changes in dust, sea-salt, and biogenic aerosol over Europe during deglaciation, PNAS Nexus, Volume 4, Issue 6, juin 2025, pgaf186, https://doi.org/10.1093/pnasnexus/pgaf186
Image : Un échantillon de glace sur le fondoir pendant les analyses chimiques en continu de la carotte de glace au laboratoire (crédit : Sylvain Masclin).