Enterrer les déchets nucléaires pour l’éternité… et vérifier qu’ils y restent.
Il y a des souvenirs dont on préfère se débarrasser à jamais. Le nucléaire en laisse un, un peu encombrant : les déchets radioactifs qui peuvent rester actifs pendant des centaines de milliers d’années.
Alors on les enterre profond, très profond. Mais une fois enfouis, comment être sûr qu’ils ne remonteront pas un jour pointer le bout de leur rayonnement ?
C’est là qu’intervient un tout nouveau modèle informatique développé par le MIT et ses partenaires européens et américains, capable de simuler le comportement des déchets nucléaires sur des millions d’années. Son nom : CrunchODiTI. Une petite révolution numérique dans un monde souterrain encore très mal compris.
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Un mur de ciment, une couche d’argile, et des questions en suspens pour nos déchets nucléaires
Un site de stockage souterrain, c’est un millefeuille géologique. Au cœur : les déchets. Autour : des barrières, naturelles et artificielles, souvent composées de ciment, d’argile, de roche. Le rôle de ces matériaux est simple sur le papier : empêcher les éléments radioactifs de se disséminer.
Sauf que dans la réalité, ces matériaux interagissent entre eux, chimiquement, physiquement, parfois électriquement. Le ciment peut réagir avec l’argile, modifier son pH, faire migrer des ions.
Et dans tout ce petit théâtre, les radionucléides, ces atomes instables qu’on redoute, peuvent bouger, lentement mais sûrement.
Un laboratoire creusé dans la montagne suisse
Pour comprendre ces phénomènes, il faut plus que des équations. Le Mont Terri, en Suisse, sert depuis 20 ans de laboratoire à ciel fermé. Dans ses galeries creusées dans l’argile, des chercheurs ont mené une expérience sur 13 ans, injectant dans une formation ciment-argile des mélanges d’ions pour observer leur comportement.
Ils ont découvert une fine zone, large d’à peine un centimètre, à la jonction entre le ciment et l’argile, où tout se joue. Une zone que les chercheurs appellent « la peau », là où les propriétés chimiques et physiques changent avec le temps, et influencent le voyage des radionucléides.
Des simulations enfin en phase avec le terrain
Jusqu’ici, les modèles informatiques avaient du mal à reproduire fidèlement les données issues de ces expériences longues et complexes. Les résultats étaient souvent à côté de la plaque. Ce n’est plus le cas.
CrunchODiTI, développé à partir du logiciel CrunchFlow, est le premier modèle capable de simuler en 3D les interactions entre les déchets radioactifs et leur environnement, en prenant en compte les effets électrostatiques des minéraux argileux. Un détail fondamental, mais trop souvent ignoré jusque-là.
Les chercheurs du MIT, associés au Lawrence Berkeley National Lab et à l’université d’Orléans, ont comparé leurs simulations aux résultats du Mont Terri. Surprise : les deux s’alignent presque parfaitement !
Simuler aujourd’hui pour éviter les regrets dans dix mille ans
Pourquoi est-ce important ? Parce que les décisions de stockage souterrain engagent l’humanité sur des millénaires. Une mauvaise estimation aujourd’hui, et on pourrait se retrouver dans 50 000 ans avec des contaminants radioactifs dans les nappes phréatiques.
Le nouveau modèle peut simuler le destin des déchets sur des échelles de temps allant du mois à plusieurs millions d’années. Il prend en compte l’évolution lente des matériaux, les échanges ioniques, les gradients de concentration, les effets de surface… Bref, il fait parler les silences de la roche.
Du laboratoire aux choix politiques
Concrètement, ce modèle pourrait changer la donne pour les futurs projets de stockage, qu’ils soient en argile, comme en Finlande ou en France, ou en formation saline. Il offre une nouvelle base de confiance pour les décideurs, ceux qui doivent dire un jour : « enterrez ici, et dormez tranquilles ».
Dauren Sarsenbayev, doctorant au MIT et co-auteur de l’étude publiée dans PNAS, est clair : « Ce modèle, c’est une passerelle entre la science de laboratoire et les choix de société. »
Parce qu’au fond, les déchets nucléaires ne sont pas un problème de demain, mais d’après-demain, d’après-après-demain, et bien au-delà.
Pour les gérer, il ne suffit pas de les cacher. Il faut comprendre leur voyage invisible, dans la pierre, dans l’eau, dans le temps.
Grâce à CrunchODiTI, on commence enfin à lire cette carte du temps profond. Et c’est peut-être la première fois que l’on peut dire, sans trop trembler : oui, ce fantôme-là restera endormi.
Source :
D. Sarsenbayev,C. Tournassat,C.I. Steefel, & H.M. Wainwright, Building confidence in models for complex barrier systems for radionuclides, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 122 (27) e2511885122, https://doi.org/10.1073/pnas.2511885122 (2025).
Image : Posiva construit actuellement le dépôt de combustible nucléaire usé d’Onkalo, le premier dépôt géologique profond au monde, sur le site de la centrale nucléaire d’Olkiluoto.
Pas si sur que le “fantome restera endormi” bien longtemps .
Quid de l’activite microbienne souterraine , accélérateur des geocycles terrestres jusqu’à plusieurs km de profondeur ?