La Finlande prolonge la vie d’un qubit au-delà de la milliseconde.
Dans le monde du quantique, une des nombreuses problématiques rencontrés par les chercheurs est la durée de vie des qubits. Or dans notre article du jour, des chercheurs finlandais viennent de franchir un cap décisif : un qubit supraconducteur capable de maintenir son état quantique plus longtemps que ce qui n’avait jamais été fait auparavant. Ce record pourrait bien marquer l’histoire de l’informatique quantique avec une croix blanche et en constituer un des grands jalons.
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Tenir une milliseconde, c’est survivre à l’univers !
Un qubit, ce n’est pas un interrupteur binaire comme dans un ordinateur classique. C’est un être capricieux, oscillant entre plusieurs états superposés, comme un chat de Schrödinger minuscule et fragile. Son talon d’Achille ? Le temps de cohérence, autrement dit : combien de temps peut-il rester dans cet état magique avant que le monde réel ne vienne tout effondrer.
Jusqu’à présent, même les meilleurs qubits transmon (le modèle le plus utilisé en laboratoire) n’atteignaient que 0,6 milliseconde. À peine le temps de cligner des yeux, mais déjà une prouesse dans l’infiniment petit. Aujourd’hui, une équipe de l’Université Aalto, en Finlande, annonce fièrement avoir doublé ce seuil ! Le qubit Q2 de leur puce a tenu plus d’une milliseconde dans plusieurs expériences répétées. Et dans ce domaine, c’est colossal.
Une puce née dans le silence absolu
Pour réaliser cet exploit, les chercheurs n’ont pas simplement acheté du matériel dernier cri. Ils ont reconstruit tout le processus de fabrication à zéro, dans une salle blanche ultra-contrôlée. Objectif : éliminer la moindre source de bruit. Leurs qubits transmon ont été gravés à l’aide de lithographie par faisceau d’électrons, une technique qui permet de dessiner des circuits aussi fins qu’une molécule.
Le cœur du système repose sur une jonction Josephson, une minuscule passerelle entre deux supraconducteurs, qui agit comme le cerveau du qubit. Chaque atome compte. La pureté des matériaux, l’absence d’oxydation, la stabilité des interfaces : tout a été soigné à l’échelle nanométrique.
Froid extrême et amplification sans bruit
Une fois la puce terminée, elle a été refroidie à proximité du zéro absolu, à moins de -273 °C, grâce à un réfrigérateur à dilution. Cette température n’est pas un luxe : c’est ce qui empêche les vibrations thermiques de venir troubler les états quantiques.
Pour capter les signaux de la puce sans les noyer dans le bruit ambiant, les chercheurs ont utilisé un amplificateur quantique ultra-sensible, capable de détecter la plus infime variation d’état du qubit sans y ajouter d’interférences. C’est là qu’ils ont observé le comportement exceptionnel du qubit Q2, qui a tenu 1,02 milliseconde dans ses meilleures performances.
Moins d’erreurs, plus de calculs
Pourquoi est-ce si important ? Parce que chaque opération quantique prend du temps. Plus le qubit reste stable, plus on peut enchaîner d’instructions sans risquer de perdre l’information. C’est comme avoir une feuille sur laquelle on peut écrire sans qu’elle ne s’efface au bout de trois lignes.
Un qubit cohérent plus longtemps, c’est moins besoin de corriger les erreurs, donc moins de ressources pour le même résultat, donc un ordinateur quantique plus fiable et plus rapide. En clair : c’est un saut qualitatif.
Un record… mais pas encore une révolution
Attention, ce record ne signifie pas que nous aurons des ordinateurs quantiques grand public demain. Le défi reste d’enchaîner des centaines, voire des milliers de qubits comme celui-ci sans perdre leur cohérence. Et ça, c’est une toute autre paire de gants.
Les chercheurs finlandais en sont conscients. C’est pourquoi ils ont choisi de publier l’intégralité de leurs méthodes de fabrication, dessins techniques et protocoles de mesure dans la revue Nature Communications. L’idée ? Que d’autres équipes puissent répliquer et améliorer leur approche, pour que cette milliseconde devienne demain une norme, et non une exception.
La Finlande entre dans le peloton de tête quantique
Ce résultat place désormais la Finlande aux avant-postes de la recherche quantique mondiale. Jusqu’ici dominée par les géants américains (IBM, Google, Rigetti), l’innovation quantique s’internationalise. Des pays comme les Pays-Bas, le Japon ou la France se démarquent aussi. Mais ce record nordique, discret et rigoureux, rappelle que dans ce domaine, la précision l’emporte souvent sur la puissance.
Résumé de l’avancée finlandaise :
Paramètre | Valeur ou description |
---|---|
Laboratoire | Université Aalto, Finlande |
Type de qubit | Transmon supraconducteur |
Coherence maximale mesurée | 1,02 milliseconde |
Médiane des temps de cohérence | 0,5 milliseconde |
Techniques utilisées | Lithographie par faisceau d’électrons, purification des matériaux, amplification à bas bruit |
Température de fonctionnement | Proche du zéro absolu (-273,15 °C) |
Publication | Nature Communications, juillet 2025 |
2025 annus mirabilis pour l’informatique quantique ?
L’année 2025 a vu l’informatique quantique franchir plusieurs paliers décisifs, loin des démonstrations théoriques d’il y a dix ans. IBM a dévoilé un processeur quantique de 1 121 qubits baptisé Condor, une puce colossale qui marque un tournant dans l’échelle des systèmes. De son côté, Google affine ses algorithmes de correction d’erreurs, indispensables pour maintenir la cohérence sur de longues séquences de calcul. En parallèle, des start-ups comme Quantinuum, Pasqal ou PsiQuantum proposent des approches alternatives : piégeage d’atomes neutres, photons intriqués, ou qubits topologiques. Toutes convergent vers un même objectif : rendre les qubits plus fiables, plus nombreux, et plus faciles à connecter entre eux. Même les géants du cloud, comme Amazon ou Microsoft, ont lancé des plateformes accessibles à distance pour programmer en quantique depuis chez soi. La discipline sort peu à peu des labos cryogéniques pour entrer dans le monde réel, où stabilité, scalabilité et simplicité sont les nouveaux mots d’ordre.
Source :
Tuokkola, M., Sunada, Y., Kivijärvi, H. et al. Methods to achieve near-millisecond energy relaxation and dephasing times for a superconducting transmon qubit. Nat Commun 16, 5421 (2025). https://doi.org/10.1038/s41467-025-61126-0
Image réalisée à l’aide de Flux.1 AI à des fins d’illustration de l’article.