La Chine construit des centrales nucléaires à 1,84 € le watt, la France en paie le double, les États-Unis près de 14 €.
C’est un sujet qui fait grincer bien des dents à Paris comme à Washington : le coût du nucléaire neuf. Alors que la planète mise de plus en plus sur l’atome pour sortir des énergies fossiles, un mal invisible freine les ambitions : le coût par watt des centrales neuves. Et là, la Chine vient de mettre tout le monde d’accord, en prouvant que non seulement le nucléaire peut être construit rapidement, mais aussi à bas prix. Résultat ? Un prix divisé par deux par rapport à la France, et presque par sept par rapport aux États-Unis !
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Une étude qui compare froidement les factures des réacteurs nucléaires entre puissances de l’atome
Ce sont des chercheurs de Johns Hopkins, de Harvard, de la CUNY et de Stony Brook University qui se sont plongés dans les comptes comparés du nucléaire mondial. Leur étude, publiée dans Nature, chiffre noir sur blanc ce que beaucoup pressentaient sans pouvoir le prouver : la Chine construit pour 1,84 € par watt, la France pour 3,68 €, et les États-Unis… pour jusqu’à 13,80 € par watt installé.
Autrement dit, pour une centrale d’1 GW, la Chine débourse environ 1,84 milliard d’euros, la France autour de 3,68 milliards, et les États-Unis peuvent grimper jusqu’à 13,8 milliards d’euros. Une différence de coût qui plombe les projets occidentaux, tout en rendant le nucléaire chinois redoutablement compétitif à l’international.
L’effet “malédiction du coût” : quand les normes et le sur-mesure étouffent l’atome
Pourquoi un tel écart ? Les chercheurs pointent plusieurs facteurs historiques et structurels. Aux États-Unis, l’accident de Three Mile Island en 1979 a entraîné une avalanche de réglementations, des hausses du coût du travail, une explosion du prix des matériaux, et surtout un manque total de standardisation. Chaque centrale devient un chantier unique, avec ses propres plans, ses propres problèmes.
La France, de son côté, a connu une envolée des coûts avec l’allongement des délais, la complexité croissante des EPR et une rupture de filière dans les années 2000. Les coûts ont doublé entre les années 1990 et 2020, malgré une ingénierie réputée.
Pendant ce temps, la Chine a fait l’inverse : elle a simplifié, standardisé, formé massivement, et intégré la production localement. Et les résultats sont là : depuis les années 2000, le coût de construction y a été divisé par deux, puis est resté quasiment stable.
Le pari gagnant de l’“indigénisation stratégique”
Le mot peut paraître barbare, mais le principe est clair : fabriquer localement tout ce qu’on peut, éviter les composants importés à coût élevé, maîtriser la chaîne du béton jusqu’au réacteur.
La Chine a d’abord importé quelques réacteurs étrangers, comme les CPR1000 inspirés du modèle français, puis a progressivement “digéré” les technologies.
Résultat : une capacité à produire en série, avec des ingénieurs, des ouvriers et des pièces 100 % locaux. Gang He, chercheur à la CUNY, résume la philosophie : « Substituer les composants importés par du local a permis de baisser drastiquement les coûts. Et ce raisonnement peut s’appliquer à toutes les technologies vertes. »
C’est là que se joue la vraie bataille : le nucléaire n’est pas seulement une affaire de science, c’est une affaire d’industrialisation. Et à ce jeu, la Chine semble avoir 30 ans d’avance.
Un signal d’alarme pour la France ?
Si la France reste un des rares pays occidentaux à avoir conservé une filière nucléaire active, elle n’est pas épargnée par ce que certains appellent la “malédiction du coût”. Le chantier de Flamanville a dépassé les 13 milliards d’euros, pour une puissance de 1,6 GW, soit plus de 8 € par watt, quatre fois plus cher que les chiffres chinois. Même avec les nouveaux EPR2 annoncés à Penly ou Bugey, le pari de la relance reste suspendu à la maîtrise des coûts.
L’étude incite clairement les pays européens à revoir leur stratégie : relocalisation des composants, mutualisation des formations, standardisation des réacteurs, coopération accrue avec les pays importateurs pour former sur place les équipes et accélérer les chantiers.
Un enjeu mondial : accélérer sans exploser les budgets
Car le vrai défi est là : remplacer rapidement les énergies fossiles sans se ruiner. Le nucléaire reste l’un des rares leviers capables de fournir une électricité bas-carbone en continu, sans dépendance au vent ou au soleil. Mais si chaque centrale devient un gouffre financier, aucun gouvernement ne pourra suivre.
Dan Kammen, de Johns Hopkins, l’explique clairement : « Rompre avec la malédiction du coût nécessitera plus que de la technologie. Il faudra une stratégie intelligente, collective, et anticipée. » La question-clé désormais : qu’arrivera-t-il aux coûts quand les centrales vieilliront, qu’il faudra les démanteler, les réparer, et gérer les déchets à très long terme ?
L’atome low-cost, un levier de puissance pour la Chine
En baissant les coûts tout en développant son parc, la Chine ne fait pas seulement un coup de poker économique. Elle se positionne comme exportateur mondial de réacteurs : au Pakistan, en Argentine, et bientôt en Afrique, elle propose un nucléaire “clé en main”, pas cher, et rapide à construire. Une stratégie qui rappelle celle utilisée pour les panneaux solaires : investissements massifs, industrialisation, conquête des marchés.
Et là encore, la France reste spectatrice. Alors que la Chine prévoit plus de 150 réacteurs d’ici 2040, l’Europe en est à négocier les financements pour 6 ou 8 nouvelles unités.
Ce qu’il faut retenir :
- Coût du nucléaire neuf (par watt installé) :
- Chine : 1,84 €
- France : 3,68 €
- États-Unis : 13,80 €
- Méthodes chinoises : standardisation, production locale, planification sur 20 ans
- Conséquence géopolitique : domination des marchés d’exportation du nucléaire
- Défi français : relancer le nucléaire sans reproduire les retards ni les surcoûts
Source :
China reins in the spiralling construction costs of nuclear power — what can other countries learn?
Strengthening regulations and domestic supply chains could be key to making nuclear power more economically viable. (en français : Renforcer la réglementation et les chaînes d’approvisionnement nationales pourrait être la clé pour rendre l’énergie nucléaire plus viable économiquement.)
Par Shangwei Liu, Gang He, Minghao Qiu & Daniel M. Kammen
Nature 643, 1186-1188 (2025)
doi: https://doi.org/10.1038/d41586-025-02341-z
Image : Centrale nucléaire de Taishan, unités 1 et 2, Guangdong, Chine
Le problème est que les occidentaux ont des coûts de production extrêmement élevé.ce qui plombe leur compétitivité
Du nucléaire comme de tout le reste . Le conservatisme industriel – fléaux fantastique mais jamais évoqué – tuera sans doute l’Occident .
Pour diminuer les prix des énergies mettez dans les pays occidentaux des partis de gauche qui mettrons au pas les dictateurs de la finance !