Les portes de l’enfer vont-elles enfin se refermer ? Le Turkménistan veut éteindre son brasier géologique.
Perdu dans l’immensité du désert du Karakoum, un cratère de 70 mètres de diamètre brûle depuis plus d’un demi-siècle. Son nom ? “Les portes de l’enfer”. Une vision apocalyptique, née d’un accident soviétique, devenue une anomalie climatique autant qu’une attraction touristique mais en 2025, le Turkménistan a annoncé vouloir refermer ce chapitre incandescent de son histoire.
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Un accident de forage devenu flambeau national du Turkménistan
Tout commence en 1971. Des géologues soviétiques forent le sol du Karakoum pour évaluer les réserves de gaz. Mauvais calcul : la plateforme s’effondre sur une poche souterraine, libérant des quantités massives de méthane. Pour éviter un empoisonnement massif des humains et du bétail, ils prennent une décision radicale : mettre le feu au trou, pensant que le gaz se consumerait en quelques jours.
Résultat ? 54 ans plus tard, le cratère brûle toujours. À 20 mètres de profondeur, les flammes lèchent les parois, réduites aujourd’hui à des flammèches, mais toujours bien réelles.
Un symbole de la folie fossile
Le site de Darvaza est devenu le visage d’un paradoxe énergétique. Il symbolise à lui seul les pertes absurdes de méthane, gaz 80 fois plus réchauffant que le CO₂ sur 20 ans. En 2024, selon les mesures satellitaires publiées par l’Agence internationale de l’énergie (AIE), le Turkménistan détenait le record mondial des super-émissions de méthane. Un record embarrassant, que ce petit pays d’Asie centrale tente désormais de camoufler en rebaptisant les « portes de l’enfer »… en « lueurs du Karakoum ». Moins dramatique, plus vendable.
Couper le gaz… pour ne plus brûler son budget
Au-delà du climat, il y a l’argent. Le président Gourbangouly Berdymoukhamedov l’a dit lui-même en 2022 : ces pertes de gaz sont une aberration économique. “Ces matières premières pourraient être exportées”, a-t-il plaidé. Traduction : chaque mètre cube de méthane qui part en fumée, c’est un billet de banque qui s’envole. Dans un pays où l’économie repose massivement sur les hydrocarbures, gaspiller du gaz, c’est scier la branche sur laquelle on est assis.
Un feu difficile à étouffer
D’un point de vue géologique, éteindre ce brasier est loin d’être simple. Le désert du Karakoum repose sur des couches de gaz intercalées entre des strates minérales imbibées d’eau, une sorte de millefeuille géologique capricieux. Tant qu’une de ces veines relâche du gaz, le feu reprend. Résultat ? Une combustion lente, imprévisible, alimentée en flux diffus.
Selon l’entreprise publique Turkmengaz, l’intensité de la flamme a déjà été divisée par trois. Le but, à terme, est d’isoler complètement la surface du cratère pour stopper toute émission résiduelle. Facile à dire, beaucoup plus complexe à faire, surtout dans un pays où les installations sont invisibles aux journalistes et les données, rarement vérifiables.
Un enfer rentable pour les touristes…
Le paradoxe ultime, c’est que ce brasier géant est aussi une des rares attractions du pays. Un pays fermé, quasi inaccessible aux voyageurs, sans grands monuments ou plages instagrammables. Pour ceux qui réussissent à décrocher un visa, le cratère de Darvaza est le clou du voyage.
“Ici, c’est l’Islande, version post-apocalyptique”, résume un touriste occidental. Même si la flamme faiblit, la fascination reste intacte. Un gouffre en feu, au milieu d’un désert silencieux, c’est quelque chose qui marque les rétines, et les comptes Instagram.
… mais une aberration environnementale qui doit s’éteindre
Pour les scientifiques du climat, le cratère n’est qu’un détail dans un océan de fuites, mais il illustre parfaitement les absurdités du système énergétique mondial. Ce n’est pas un accident du passé, c’est une émission en continu depuis cinq décennies. Et si le Turkménistan semble enfin décidé à éteindre les flammes, ce n’est ni par pression scientifique ni par souci environnemental. C’est parce que le méthane qui part en fumée pourrait rapporter gros à l’export.
L’autre record “embarrassant” aux Etats-Unis
Au fond des collines verdoyantes de Pennsylvanie, là où ne subsistent que les carcasses de maisons englouties par la végétation, le sol fume encore. À Centralia, un incendie souterrain consume un filon de charbon depuis… 1962. Plus de soixante ans de brasier ininterrompu, tapi sous terre, invisible aux regards mais toujours bien actif. Ce feu fantôme, probablement déclenché par une opération de nettoyage mal maîtrisée dans une ancienne décharge minière, s’est propagé dans les veines charbonnières avec une lenteur perverse, obligeant la quasi-totalité des habitants à fuir. Route fracturée, bitume fissuré, gaz toxiques s’échappant du sol : Centralia est devenue une ville fantôme et un symbole mondial de la combustion la plus longue jamais enregistrée. Les experts estiment qu’il pourrait encore brûler pendant… deux siècles. Une cicatrice brûlante sur la carte des États-Unis, rappelant à quel point les erreurs souterraines peuvent engendrer des désastres à ciel ouvert.
Source : https://energynews.pro/en/turkmenistan-commits-to-extinguishing-the-gates-of-hell-to-reduce-methane-emissions