EDF joue les urgentistes de l’atome de l’autre côté de la Manche.
Le 2 septembre 2025, la décision est tombée : le Royaume-Uni a décidé que la centrale de Hartlepool et celle de Heysham 1 resteront en service un an de plus. Une année gagnée sur l’horloge du démantèlement, une respiration dans une course contre le temps. Ces réacteurs de type AGR (Advanced Gas-cooled Reactor ou Réacteur avancé refroidi au gaz chez nous), construits dans les années 1980, devaient fermer sous peu. Ils continueront finalement à produire de l’électricité jusqu’en mars 2028.
Chaque jour compte pour un gouvernement britannique qui tente de tenir sa promesse : un réseau électrique sans carbone, sans blackout, sans dépendance.
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Un an de gagné pour le Royaume-Uni qui prolonge la durée de vie de 2 de ses centrales nucléaires
Londres est pressée. Depuis la guerre en Ukraine, l’énergie est devenue une source d’angoisse nationale. Alors, on serre les dents et on maintient les anciens réacteurs en vie aussi longtemps que possible. Heysham 2 et Torness, déjà prolongées en décembre dernier. Aujourd’hui Heysham 1 et Hartlepool. Demain, sans doute, Sizewell B.
Sur les sites concernés, plus de 1 000 salariés ont appris qu’ils resteraient encore en poste. Ce n’est pas rien. Pour eux, c’est la garantie d’un revenu, d’une activité, d’une raison de se lever le matin. Dans des régions parfois marquées par le chômage et la désertification industrielle, ce sursis pèse bien plus lourd que quelques bulletins techniques.
Mark Hartley, le patron des opérations nucléaires d’EDF au Royaume-Uni, ne s’en cache pas : “Prolonger la durée de vie de ces centrales (…) permettra de garantir l’emploi plus longtemps à plus de 1 000 personnes qui y travaillent et de soutenir les ambitions du Royaume-Uni de disposer d’un approvisionnement en électricité propre et sûr”.
Le paradoxe nucléaire version britannique
D’un côté, des centrales proches de la retraite qui, grâce à des inspections minutieuses, décrochent des prolongations. De l’autre, des chantiers flambant neufs, aux budgets colossaux, qui s’embourbent dans les retards.
Prenez Hinkley Point C. Deux EPR en construction depuis 2016. Date de livraison espérée ? Inconnue. Coût final : plus de 35 milliards d’euros, et ça grimpe encore. Et voici maintenant Sizewell C, le petit dernier. Feu vert politique donné en juillet. 44 milliards d’euros sur la table. Une somme à faire trembler n’importe quel ministre du Trésor.
Dans ce contexte, les vieux réacteurs, même poussifs, ont un avantage de taille : ils sont là, ils tournent et tiennent le pays à flot.
Une entreprise française au cœur du mix britannique
Depuis 2009, EDF gère l’intégralité du parc nucléaire britannique. Le Royaume-Uni, qui avait développé son propre modèle nucléaire dans les années 1950, s’est tourné vers la France pour maintenir en vie ses réacteurs vieillissants.
EDF est ainsi présente sur tout le territoire, des côtes du Lancashire aux landes du Suffolk. Elle fait face à la presse, aux syndicats, aux élus locaux. Elle absorbe aussi les critiques quand les EPR prennent du retard ou dépassent leur budget.
C’est un rôle de funambule : maintenir la confiance des Britanniques tout en assurant la rentabilité d’un parc qui n’est plus tout jeune.
Une électricité sous tension, entre éolien et fissile
Le Royaume-Uni a misé gros sur l’éolien offshore. Les turbines géantes qui bordent ses côtes alimentent déjà des millions de foyers et le pays a d’ailleurs quelque record en la matière. Pourtant, quand le vent tombe ou qu’il fait nuit, ce nouveau parc montre vite sa limite. D’où une certaine “mode” dans le pays autour du nucléaire.
35 milliards d’euros de fonds publics ont déjà été annoncés en juin, pour Sizewell C, et le Royaume-Uni commence doucement mais sûrement à parler de SMR tout en se positionnant sur la fusion.
On espère, on expérimente, on table sur l’avenir… Mais l’avenir, justement, tarde à arriver.
D’ici là, chaque jour gagné par Hartlepool et Heysham 1 est un jour sans compromis sur la sécurité énergétique.
Un héritage nucléaire qui ne passe pas comme une lettre à la poste
Ce choix de prolonger des réacteurs de plus de 40 ans ne va pas sans débat. Le nucléaire reste un sujet sensible au Royaume-Uni, comme ailleurs. Les mouvements écologistes dénoncent le risque, le coût du démantèlement futur, la gestion des déchets. D’autres, au contraire, applaudissent cette “résilience” du parc.
La vérité est plus nuancée. Le parc nucléaire britannique est unique au monde. Le réacteur avancé refroidi au gaz (AGR), technologie “maison” utilise de l’uranium enrichi comme combustible et du dioxyde de carbone sous pression comme fluide caloporteur. La chaleur produite par la fission est transférée à de la vapeur d’eau qui alimente des turbines pour produire de l’électricité. Ces réacteurs, ingénieux à leur époque, sont aujourd’hui délicats à maintenir. Peu de pièces de rechange, peu de compétences jeunes sur ces modèles.
Pourtant, ils tiennent encore debout, avec leurs armatures fatiguées et leurs cuves chauffées à blanc… Et permettent à nos voisins d’outre-Manche de s’éclairer la nuit quand le vent est tombée.
Source : https://www.bbc.com/news/articles/c4gzg8knp6go
Image : Centrale de Heysham 1