Jeddah Tower : l’immeuble du futur ou le vertige du présent ?
Imaginez empiler trois tours Eiffel puis ajouter une demie tour Montparnasse par-dessus. Bienvenue en Arabie saoudite, sur les bords de la mer Rouge, où le royaume construit, étage après étage, ce qui deviendra la plus haute structure jamais édifiée par l’être humain. Son nom : Jeddah Tower (ou tour Djeddah pour les francophones). Sa promesse : franchir la barre du kilomètre vertical d’ici 2028. Un projet fou, ambitieux, presque irréel. Pourtant, les travaux ont repris, les grues s’activent, les fondations tiennent bon.
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La Jeddah Tower vise le kilomètre de hauteur mais à quel prix ?
Initialement baptisée “Kingdom Tower”, cette flèche de béton et d’acier devait symboliser la transformation du royaume sous l’égide du plan Vision 2030. À sa tête, l’architecte Adrian Smith, le même qui avait imaginé le Burj Khalifa. Sa vision : une tour inspirée des frondes végétales du désert, élancée, asymétrique, presque vivante.
Malheureusement en 2018, le rêve se brise : le chantier s’arrête, englouti dans des tourmentes politiques et financières. Durant cinq ans, le béton sèche, le vent souffle, la skyline reste inachevée. Puis, en janvier 2025, les machines redémarrent. Turner Construction, le groupe Bin Laden, et Dar Al-Handasah reprennent la main.
En septembre 2025, la tour atteint son 70e étage, avec un rythme d’un étage tous les quatre jours.
Des fondations dignes d’un barrage
Construire à un kilomètre de haut, ce n’est pas bâtir une tour, c’est défier la physique. Le socle du bâtiment s’étale sur 3 200 m², avec une dalle de 5 mètres d’épaisseur et 270 pieux de 105 mètres de profondeur. La structure utilise du béton ultra-haute performance (85 MPa), et une armature innovante en core buttress (ou “renfort du noyau” en français) qui supprime les contreforts traditionnels.
Le transport vertical est lui aussi hors norme : 59 ascenseurs, dont plusieurs à double étage, des sky lobbies, des technologies de pompage vertical de béton testées jusqu’à 800 mètres de haut. On parle ici d’une ville verticale. Avec ses logements de luxe, ses bureaux, un hôtel Four Seasons entre les 19e et 27e étages, et le plus haut observatoire du monde à 644 mètres.
Une vitrine économique pour le royaume
Pourquoi ériger cette tour aujourd’hui ? La réponse tient en deux mots : Vision 2030. L’Arabie saoudite sait que son avenir ne pourra plus reposer uniquement sur le pétrole. Le pays veut devenir un hub mondial du commerce, du tourisme et de l’innovation. Et la Jeddah Tower est censée en être le totem. Un phare, une vitrine, un signal adressé au monde : “nous sommes ouverts, ambitieux, modernes.”
Le quartier tout entier, baptisé Jeddah Economic City, représente un investissement de 20 milliards de dollars. Il comprendra centres commerciaux, parcs, réseaux de transports, et un urbanisme pensé pour une nouvelle classe moyenne saoudienne. La tour n’est pas isolée. Elle est le cœur battant d’un nouveau modèle de développement.
Un gouffre environnemental qui dérange
Sur le papier, tout brille. Dans les faits, la facture carbone de la tour est gigantesque. À elle seule, la construction nécessitera 500 000 m³ de béton et 80 000 tonnes d’acier. Soit plus de 200 000 tonnes de CO₂ émises avant même que l’immeuble ne soit terminé.
Pour certains ingénieurs et écologues, c’est un non-sens climatique. Une “vanity tower” : un édifice érigé non pour son utilité, mais pour sa hauteur. Le rendement énergétique de ses étages supérieurs est contesté, les bénéfices économiques restent hypothétiques, et l’empreinte écologique bien réelle.
Un littoral déjà sous tension
Autre sujet d’inquiétude : l’emplacement. La tour se dresse à quelques centaines de mètres de la mer Rouge, dans une zone côtière fragile. Les eaux de Djeddah subissent déjà les conséquences d’un urbanisme mal maîtrisé et d’un traitement des eaux usées insuffisant. Des études ont révélé des niveaux d’azote proches de ceux des eaux brutes.
Ajouter un chantier géant à cet écosystème pose des risques évidents : pollution, érosion, montée des eaux. La forme élancée de la tour la rend vulnérable aux vents marins extrêmes. Même son vitrage ultra-haute performance et ses systèmes de récupération d’eau ne suffisent pas à faire taire les critiques.
Un sommet qui interroge le sens du progrès
La Jeddah Tower fascine autant qu’elle divise. Elle incarne la puissance d’une ambition, la résurrection d’un rêve architectural. Mais elle soulève aussi des questions de fond : faut-il encore bâtir plus haut ? À quel prix ? Et pour qui ?
Dans un monde en transition énergétique, cette tour pourrait devenir un symbole inversé : celui d’un progrès technique sans boussole écologique. Ou bien, si elle parvient à limiter ses impacts, un laboratoire vertical pour tester la ville durable de demain.

Les plus grandes tours du monde en 2025
Rang | Nom de la tour | Ville | Pays | Hauteur (m) | Étages | Année de fin | Statut |
1 | Jeddah Tower | Djeddah | Arabie saoudite | 1 000 | ~170 | 2028 (prévue) | En construction |
2 | Burj Khalifa | Dubaï | Émirats arabes unis | 828 | 163 | 2010 | Terminé |
3 | Merdeka 118 | Kuala Lumpur | Malaisie | 678,9 | 118 | 2023 | Terminé |
4 | Shanghai Tower | Shanghai | Chine | 632 | 128 | 2015 | Terminé |
5 | Abraj Al-Bait Clock Tower | La Mecque | Arabie saoudite | 601 | 120 | 2012 | Terminé |
6 | Ping An Finance Center | Shenzhen | Chine | 599 | 115 | 2017 | Terminé |
7 | Lotte World Tower | Séoul | Corée du Sud | 555 | 123 | 2016 | Terminé |
8 | One World Trade Center | New York | États-Unis | 541 | 104 | 2014 | Terminé |
9 | Guangzhou CTF Finance Centre | Canton | Chine | 530 | 111 | 2016 | Terminé |
10 | Tianjin CTF Finance Centre | Tianjin | Chine | 530 | 98 | 2019 | Terminé |
Source : https://thejeddahtower.org