Et si les déchets nucléaires devenaient… le carburant de demain ?
Oubliez tout ce que vous pensiez savoir sur le nucléaire russe. Loin des clichés des vieilles centrales délabrées, dans un coin reculé de Sibérie, des ingénieurs testent un nouveau type de carburant nucléaire qui pourrait bien marquer un jalon dans l’Histoire de ce type d’énergie.
Le nom de ce petit bijou d’innovation ? OS-5.
Sous ses allures métalliques, il embarque un secret étonnant : une couche de métal liquide glissée entre le combustible et son enveloppe.
Le but est de faire respirer le cœur du réacteur, éviter les tensions internes, et surtout allonger la durée de vie du carburant.
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Bienvenue dans le futur des réacteurs rapides grâce à Rosatom
Le carburant OS-5 n’a pas été conçu pour n’importe quel réacteur. Il est taillé sur mesure pour le BREST-OD-300, un réacteur de génération IV dit “à neutrons rapides”, en construction à Seversk.
Ce type de réacteur a une particularité : il brûle ce que les autres centrales considèrent comme des déchets : Plutonium, actinides mineurs etc
Du métal liquide pour calmer les ardeurs atomiques
Dans un crayon de combustible classique, la pastille d’uranium se dilate avec la chaleur. Trop, parfois. Elle peut en effet pousser sur son enveloppe métallique, appelée “gaine”, jusqu’à risquer de la fissurer.
Avec l’OS-5, Rosatom a glissé une fine couche de métal liquide entre le carburant et sa gaine. Un peu comme si vous mettiez de la graisse thermique dans un processeur d’ordinateur : ça amortit, refroidit, protège.
Conséquence directe : moins de contraintes mécaniques, moins de risques de rupture, et des températures de fonctionnement plus stables. C’est subtil, mais pour un réacteur, c’est la différence entre 10 et 15 ans de fonctionnement sans souci.
Allonger les cycles, diviser les déchets
Le “burnup” est un anglissime (un de plus) pour désigner la quantité d’énergie qu’on peut extraire d’un combustible. Un bon “burnup”, c’est comme un citron bien pressé : moins de gaspillage, plus de rendement.
Le carburant OS-5 vise à doubler ce rendement, passant de 6 % à 12 % de combustion effective des atomes lourds.
Autrement dit, avec la même quantité de matière, on produit deux fois plus d’électricité… et deux fois moins de déchets à gérer. Une belle promesse !
Tout sur place, tout en boucle
Le projet russe ne s’arrête pas au réacteur. Sur le site de Seversk, Rosatom construit un complexe intégré : usine de fabrication, réacteur, centre de retraitement, unité de refabrication…
C’est ce qu’on appelle un cycle fermé du combustible. Le rêve de tout ingénieur : produire, consommer, recycler, recommencer.
Et tout ça sans sortir le combustible du site, sans convois, sans manipulations inutiles.
En test avant le grand saut
Avant de lancer cette technologie dans le BREST flambant neuf, Rosatom va la tester dans le BN-600, un vieux réacteur rapide toujours vaillant, en activité depuis les années 1980. Un peu comme tester un nouveau carburant sur une vieille Formule 1 : si ça passe là, ça passera partout.
Il reste encore un feu vert à décrocher : celui de Rostekhnadzor, l’autorité nucléaire russe. Si tout se passe bien, les premiers crayons OS-5 entreront en service d’ici peu.
Et après ? Un modèle à 1 200 mégawatts… et une démonstration industrielle
Si les résultats sont à la hauteur, Rosatom prévoit déjà un réacteur de 1 200 MW, le BN-1200M, basé sur les mêmes principes.
Un véritable démonstrateur pour prouver que le nucléaire du futur peut être circulaire, efficace… et industriellement viable.
En parallèle, les Russes modernisent aussi leurs centrifugeuses à gaz, pour enrichir plus vite et plus propre. Un cycle complet, depuis l’uranium brut jusqu’à l’électricité, pensé comme un écosystème.
De quoi continuer à truster les premières places du toujours plus juteux marché nucléaire mondial.
Pendant ce temps-là en France
Côté français, le nucléaire avance avec une approche plus prudente, mais tout aussi stratégique. Orano maîtrise déjà le cycle fermé via son site de La Hague, où l’on retraitement chaque année près de 1 700 tonnes de combustible usé, principalement pour produire du MOX, un mélange d’uranium et de plutonium réutilisé dans plusieurs réacteurs du parc français. Si la France n’a pas actuellement de réacteur à neutrons rapides en activité, elle reste pionnière en la matière, avec les expériences passées de Phénix et Superphénix, deux prototypes qui ont prouvé la faisabilité de ce type de technologie, même si leur carrière fut écourtée pour des raisons politiques plus que techniques. Le projet ASTRID, imaginé pour leur succéder, a été suspendu, mais le savoir-faire est toujours là, entretenu par le CEA et les industriels. La France mise donc sur l’optimisation d’un cycle partiellement fermé, éprouvé, maîtrisé, mais pourrait relancer ses ambitions rapides si le contexte s’y prête à nouveau.
Les principales entreprises productrices de combustibles pour centrales nucléaires en 2025
Pays | Entreprise / Consortium | Sites d’enrichissement | Capacité estimée | Part de marché mondiale |
---|---|---|---|---|
Russie | Rosatom (Tenex) | Angarsk, Novouralsk, Seversk, Zelenogorsk | ~27 millions UTS/an | 35–40 % |
Europe (France, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni) | Urenco | Almelo (Pays-Bas), Gronau (Allemagne), Capenhurst (UK), Eunice (USA) | ~18 millions UTS/an | 25–30 % |
France | Orano (ex-Areva) | Usine Georges-Besse II (Tricastin) | ~7,5 millions UTS/an | 10–12 % |
Chine | CNNC (China National Nuclear Corporation) | Lanzhou, Shaanxi, Hanzhong | ~9 millions UTS/an | 12–15 % |
États-Unis | Centrus Energy (ex-USEC) | Piketon (Ohio, projet HALEU), Paducah (fermé) | < 1 million UTS/an (en relance) | < 5 % |
Japon | JNFL (Japan Nuclear Fuel Limited) | Rokkasho (en développement) | Capacité limitée | < 1 % |
Source : Rosatom