La Chine livre à la France un monstre de 330 tonnes destiné au réacteur ITER et profite de l’expérience acquise pour avancer en parallèle sur son propre projet

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ITER : cinq nuits de convoi pour livrer un géant venu de Chine.

Il a fallu cinq nuits, un remorqueur de 800 chevaux, et une précision au centimètre près pour faire avancer un objet unique sur les routes de Provence. Le plus long et le plus large composant jamais livré à ITER est arrivé à destination le 4 octobre 2025, à 1 h 45 du matin.
Un cryostat sur mesure, destiné à l’installation d’essai à froid des aimants supraconducteurs, construit en Chine, et transporté à une vitesse… de piéton.

Derrière cette lenteur, une opération logistique millimétrée et une avancée stratégique dans la mise au point de l’un des systèmes les plus complexes jamais conçus pour maîtriser l’énergie de fusion.

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Une boîte de sardines géante de 330 tonnes pour ITER

Le cryostat livré à ITER n’est pas le composant le plus lourd jamais transporté sur l’itinéraire dédié mais avec 22 mètres de long, 11 mètres de large et 330 tonnes, il en est le plus volumineux. Visuellement, l’objet évoque une boîte de sardines métallique, posée à 1,5 mètre du sol, montée sur une remorque multi-essieux.

Sa destination : le banc d’essai à froid des aimants, dans lequel seront insérées des bobines de champ toroïdal en forme de D, des structures massives qui créent le champ magnétique nécessaire au confinement du plasma. Le cryostat doit permettre de tester ces bobines à 4 kelvins, soit –269 °C, une température proche du zéro absolu.

Une telle opération nécessite non seulement une enceinte hermétique et ultra-isolée, mais aussi une intégration parfaite avec les circuits cryogéniques du site. Avant cela, il fallait l’acheminer sans encombre sur plus de 100 kilomètres.

Les Etats-Unis sortent encore un tour de leur chapeau qui aura son importance pour la maitrise de la fusion nucléaire

Un convoi aussi lent que délicat

Le transport a débuté le 29 septembre à Berre-l’Étang, point d’arrivée habituel des colis ITER en provenance du port de Fos-sur-Mer. De là, le cryostat a emprunté l’itinéraire ITER, conçu pour supporter les composants XXL du réacteur international. Mais cette fois, la combinaison de la longueur et de la largeur a imposé une logistique inédite.

Impossible de dépasser quelques kilomètres par heure. Chaque virage, chaque rond-point, chaque entrée de village a nécessité des démontages temporaires de mobilier urbain : lampadaires, panneaux, abribus, balisage de conduites souterraines…
Puis, une fois le convoi passé : tout remettre en état, dans la nuit.

Jamais, jusqu’ici, un composant ITER n’avait demandé plus de quatre nuits pour parcourir les 104 kilomètres séparant Berre du site. Ce cryostat aura mis cinq nuits entières, en progressant parfois à la vitesse d’un marcheur fatigué.

Un passage étroit, et un pari sur l’altitude

Le tronçon le plus critique ? Un goulet rocheux entre deux falaises, situé près du pont Mirabeau. En 2020, pour faire passer la bobine PF6 (10 mètres de large), il avait fallu élargir la chaussée. Cette fois, le composant était encore plus large, mais placé plus haut sur la remorque, évitant le creux du relief.

Grâce à des simulations 3D réalisées par DAHER, le passage a été validé… mais au prix de manœuvres extrêmement lentes et encadrées. L’ensemble du convoi était suivi en temps réel par des équipes logistiques, des ingénieurs, des forces de gendarmerie, et des responsables du programme ITER.

Parmi eux, Pietro Barabaschi, directeur général d’ITER, était présent sur place au départ du convoi, aux côtés des opérateurs et du transporteur Capelle. Car au-delà du défi logistique, chaque composant livré est aussi un moment-clé pour la dynamique du chantier.

Une fenêtre ouverte dans un planning sous tension

Ce cryostat n’était pas prévu au départ. Il est le fruit d’une opportunité technique apparue en 2022, lorsque les difficultés rencontrées sur la chambre à vide et le bouclier thermique ont contraint à suspendre temporairement l’assemblage du cœur du réacteur.

Profitant de ce répit, les équipes ont décidé d’installer un banc d’essai dédié aux aimants, pour pouvoir tester certaines bobines à très basse température avant leur insertion dans le tokamak. Une décision jugée stratégique, notamment pour valider les productions des différents fournisseurs internationaux.

Résultat : en à peine 30 mois, les équipes chinoises de Shanghai Electric (SENPEC) et de l’Institut de physique des plasmas de l’Académie des sciences de Chine (ASIPP) ont conçu, fabriqué et livré le plus gros équipement du banc d’essai.

Un composant géant pour une étape microscopique

Aujourd’hui, le cryostat est stocké provisoirement sur le site ITER, dans un atelier protégé. Il doit encore être équipé d’une super-isolation réfléchissante, puis raccordé aux systèmes cryogéniques. Une fois opérationnel, il servira à refroidir des bobines de plusieurs dizaines de tonnes à 4 K, dans un volume de 1 400 mètres cubes.

Vendredi dernier, les premiers éléments du banc d’essai ont d’ailleurs été connectés à l’usine cryogénique du site, l’un des plus puissants systèmes de refroidissement jamais construits. Le cryostat, lui, est encore en attente de ses ajustements finaux.

Mais une chose est certaine : il est là, livré, en bon état, et prêt à entrer en service.

Une livraison chinoise hors norme… pour des aimants plus puissants encore

Quelques jours après l’arrivée du cryostat à ITER, c’est un autre composant géant, lui aussi chinois, qui a marqué les esprits : la plus grande boîte de bobine de champ toroïdal jamais construite au monde, pesant 440 tonnes, a été livrée par Shanghai Electric au campus CRAFT (Comprehensive Research Facility for Fusion Technology), un site pilote unique au monde qui regroupe 20 bancs d’essai : aimants, chauffage, matériaux de paroi, systèmes à tritium… tout y est.

Conçue en acier austénitique ultra-basse température, cette structure massive surpasse, en volume comme en poids, les composants similaires déjà intégrés à ITER. Pour souder des parois épaisses de 35 centimètres, les ingénieurs ont combiné soudure laser haute épaisseur, procédés à l’arc tungstène en joint étroit, et contrôles non destructifs par réseaux de phases. Une prouesse technologique qui, au-delà de la fusion, fait émerger des applications potentielles en aéronautique, en génie maritime ou dans l’offshore lourd.

Une bataille mondiale pour dompter le plasma

Les efforts chinois s’inscrivent dans un processus de partenariat scientifique autant que dans une course mondiale vers la fusion. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a souligné dans son rapport 2025 que la Chine avançait plus vite que prévu vers des centrales fonctionnelles. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Corée du Sud ou en France, d’autres projets rivalisent pour atteindre le même Graal : une fusion stable, continue et rentable.

La pièce livrée par Shanghai Electric symbolise cette ambition. Ce n’est pas une pièce détachée mais un prototype d’infrastructure, pensé pour durer, pour inspirer, pour être reproduit.

Cette photo prise le 13 octobre 2025 montre un huitième de la chambre à vide du CRAFT (Comprehensive Research Facility for Fusion Technology), à l’intérieur de laquelle est installé le prototype de divertor, à Hefei, dans la province de l’Anhui, à l’est de la Chine.
Cette photo prise le 13 octobre 2025 montre un huitième de la chambre à vide du CRAFT (Comprehensive Research Facility for Fusion Technology), à l’intérieur de laquelle est installé le prototype de divertor, à Hefei, dans la province de l’Anhui, à l’est de la Chine.

Les principaux projets de fusion nucléaire connue dans le monde

Nom du projet Pays Technologie Objectif État en 2025
ITER International (UE, Chine, USA, Inde…) Tokamak (magnétique, deutérium-tritium) 500 MW thermiques pendant 400 s En construction à Cadarache (France)
CFETR Chine Tokamak (supraconducteur avancé) Réacteur prototype pré-industriel Phase de conception finale (CRAFT en support)
SPARC États-Unis (Commonwealth Fusion Systems) Tokamak à aimants HTS (REBCO) démonstrateur compact Construction lancée, mise en service attendue 2026
STEP Royaume-Uni (UKAEA) Tokamak DEMO Production nette d’électricité < 2040 Phase de design initial (site choisi : West Burton)
ARC États-Unis (MIT) Tokamak compact à aimants HTS Réacteur modulaire connecté au réseau En conception
FuZE États-Unis (Zap Energy) Z-pinch (stabilisé par flux cisaillé) Fusion sans aimants ni laser, architecture simplifiée Test plateforme Century, montée en puissance x20
IFMIF DONES Espagne (UE, Japon) Source de neutrons pour tester matériaux Valider les matériaux pour DEMO Travaux préparatoires lancés
JT-60SA Japon / UE Tokamak supraconducteur Support scientifique à ITER Tests à chaud en cours
Divertor Tokamak Test (DTT) Italie Tokamak pour tests de divertor Étudier la gestion des flux de chaleur Chantier en cours à Frascati
JFS (Japan Fusion DEMO) Japon Tokamak DEMO Électricité commerciale vers 2050 Pré-études en collaboration avec l’industrie
Helion Fusion États-Unis (Helion Energy) Fusion à piston magnétique (MPF) Production directe d’électricité (sans vapeur) Réacteur 7 “Polaris” prévu fin 2025
First Light Fusion (FLARE) Royaume-Uni Fusion inertielle par projectile Simplifier la fusion par inertie (sans laser) Dispositif FLARE en construction
ST40 Royaume-Uni (Tokamak Energy) Spherical Tokamak + HTS Développement de DEMO compact Test d’aimants supraconducteurs en cours

Source : ITER

Image : Le cryostat personnalisé de 330 tonnes, fabriqué en Chine pour l’installation d’essai à froid des aimants d’ITER, est acheminé à l’intérieur après sa livraison.

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Guillaume AIGRON
Guillaume AIGRON
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