Le géant belge qui tisse la toile électrique des mers.
Sous les projecteurs des chantiers navals de Jiangsu, en Chine, un monstre d’acier vient de glisser dans l’eau. Il s’appelle Fleeming Jenkin. Haut comme un immeuble de vingt étages, long de plus de deux cents mètres : c’est le plus grand poseur de câbles sous-marins jamais construit, une usine flottante conçue par le groupe belge Jan De Nul.
D’ici 2026, il reliera entre elles les plus grandes fermes éoliennes de la mer du Nord, tissant littéralement le réseau électrique du futur. Il en profite pour faire sortir la France du top 3 des plus grands navires de ce genre même si comme on va le voir, la France a d’autres atouts en réserve !
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Le plus grand câblier du monde avec 200 mètres est belge : le Fleeming Jenkin
Jan De Nul est une entreprise familiale, fondée à Aalst en 1938, dans un pays sans pétrole mais avec une passion pour la mer. Depuis trois générations, les De Nul creusent, draguent, construisent, connectent et aujourd’hui électrisent.
Le Fleeming Jenkin, dévoilé le 21 octobre 2025, a tout d’un léviathan des mers : 200mètres de long et 28 000 tonnes de capacité de câbles, soit l’équivalent de presque trois tours Eiffel de cuivre et d’acier embarquées dans ses entrailles.
Sa mission : relier les éoliennes offshore géantes à la terre ferme.
Le tisserand des mers
Imaginez une pelote de câbles de 2 800 kilomètres (l’équivalent d’un Paris / Istanbul), que le navire déroule lentement au fond des océans.
Son rôle : relier les champs d’éoliennes de la mer du Nord au réseau électrique européen dans le cadre du programme 2 GW de TenneT, l’opérateur germano-néerlandais.
Chaque ligne qu’il posera pourra transporter l’équivalent de deux réacteurs nucléaires en puissance continue.
Sur le pont, les ingénieurs belges parlent d’orfèvrerie plus que de chantier. “Le Fleeming Jenkin condense quinze ans d’expérience en pose de câbles sous-marins”, explique Wouter Vermeersch, directeur offshore chez Jan De Nul.
Tout a été conçu en interne : logiciels de contrôle, systèmes d’alignement, stabilisation. Résultat : un navire capable de travailler avec la précision d’un horloger suisse, même dans la houle.
Une usine flottante de haute couture
Le Fleeming Jenkin, c’est un navire à plusieurs étages de technologie. Trois carrousels géants tournent lentement, deux sur le pont, un en soute. Ensemble, ils peuvent dérouler quatre câbles à la fois, sous une tension de 150 tonnes, le poids de 25 éléphants d’Afrique !
Sous la surface, des bras hydrauliques, des capteurs et des drones sous-marins surveillent le déroulage au millimètre.
Tout est mesuré, tout est anticipé. Chaque câble, long de centaines de kilomètres, devient un nerf électrique reliant les éoliennes à la côte, sans une torsion, sans une bulle d’air, sans une erreur.
Le navire peut travailler à 3 000 mètres de profondeur, là où la lumière s’éteint et où seuls les sons métalliques de la coque rappellent la surface.
Le colosse qui respire propre
Sous le pont, pas de rugissement de moteurs diesel.
Le Fleeming Jenkin appartient à une nouvelle génération de navires dits ULEv, pour Ultra-Low Emission Vessels.
Son cœur : une batterie de 2,5 MWh, épaulée par des générateurs au biocarburant et un système compatible avec le méthanol vert.
Sa respiration : un système d’échappement double qui filtre 99 % des nanoparticules.
C’est un paradoxe flottant : un géant de 215 mètres qui laisse une empreinte carbone plus légère que la plupart des ferries côtiers.
Ce navire prouve qu’un mastodonte peut être propre, silencieux et sobre, sans renoncer à la puissance. Une leçon d’ingénierie européenne à une époque où chaque tonne de CO₂ compte.
Les maillons invisibles de la “supergrille” européenne
Derrière la prouesse, il y a un horizon bien plus vaste. D’ici 2050, selon l’ENTSO-E (le réseau européen des opérateurs d’électricité), il faudra 400 milliards d’euros d’investissements pour tisser sous les mers un réseau d’interconnexions reliant les énergies renouvelables du continent.
C’est là que le Fleeming Jenkin et son futur navire jumeau, le William Thomson, entrent en scène.
Ensemble, ils relieront le Danemark, la Norvège, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni dans un maillage invisible : celui d’une Europe électrifiée par ses mers.
Et parce qu’un réseau se protège autant qu’il se construit, Jan De Nul prépare déjà un autre colosse : le George W. Goethals, capable de transporter 30 000 tonnes de roches pour protéger ces câbles vitaux contre les ancres et les tempêtes.
Les ingénieurs l’appellent déjà “le maçon des abysses”.

La France, puissance discrète des câbles sous-marins
Si elle est a été éjectée du top 3 des plus gros navires poseurs de câbles sous-marins (voir tableau ci-dessous), la France n’en tire pas moins habilement son épingle du jeu dans ce secteur que le grand public ignore souvent, mais dont il dépend chaque jour. La flotte française représenterait ainsi à elle seule près d’un tiers du tonnage mondial de poseurs de câbles sous-marins en 2025.
Derrière cette réussite, un quatuor d’acteurs dominants : Nexans, Orange Marine, Louis Dreyfus Armateurs et Alcatel Submarine Networks (ASN). Ensemble, ils ne se contentent pas d’exploiter des navires spécialisés : ils maîtrisent toute la chaîne, depuis la conception des câbles jusqu’à leur immersion à plusieurs milliers de mètres sous la mer. Cette intégration complète, rare à l’échelle mondiale, confère à la France une autonomie industrielle précieuse et une capacité d’intervention planétaire.
Top 10 des poseurs de câbles sous-marins en 2025
| Rang | Nom du navire | Longueur / largeur | Capacité ou poids estimé | Particularité marquante |
| 1 | Fleeming Jenkin (Jan De Nul, Belgique) | 215 m / 36 m | Capacité de 28 000 tonnes de câbles | Plus grand navire poseur de câbles jamais construit, propulsion hybride biocarburant/méthanol |
| 2 | Leonardo da Vinci (Prysmian Group, Italie) | 171 m / 34 m | Déplacement total d’environ 36 400 tonnes, carrousels de 10 000 t + 7 000 t | Pose de câbles HVDC longue distance, très haute précision et efficacité énergétique |
| 3 | Living Stone (DEME Group, Belgique) | 161 m / 32 m | Capacité estimée à 13 000 tonnes | Navire multifonction combinant pose de câbles, transport et tranchage sous-marin |
| 4 | Deep Blue (TechnipFMC, France) | 156 m / 32 m | Capacité estimée à 9 000 tonnes de câbles et flexibles | Spécialisé dans la pose de câbles et conduites flexibles pour le pétrole et le gaz |
| 5 | Nexans Aurora (Nexans, Norvège) | 150 m / 31 m | Capacité de 10 000 tonnes de câbles | Navire spécialisé pour la pose de câbles électriques sous-marins haute tension |
| 6 | NKT Victoria (NKT A/S, Danemark) | 140 m / 30 m | Capacité de 11 000 tonnes de câbles | Équipé d’un système d’alimentation hybride et d’une position dynamique DP3 |
| 7 | CS Dependable (SubCom, États-Unis) | 146 m / 20 m | Capacité d’environ 8 000 tonnes | Utilisé pour la pose de câbles transocéaniques, notamment entre continents |
| 8 | Isaac Newton (Jan De Nul, Belgique) | 138 m / 32 m | Capacité de 10 700 tonnes de câbles | Premier grand navire de pose du groupe belge avant le Fleeming Jenkin |
| 9 | Qifan 19 (Shanghai Electric Cable, Chine) | 109 m / 37 m | Capacité de 10 000 tonnes | Plus grand navire de pose chinois, capable d’installer des câbles jusqu’à 2 000 m de profondeur |
| 10 | Skagerrak (NKT, Norvège) | 100 m / 25 m | Capacité de 9 000 tonnes | Ancien grand navire de pose européen, toujours en service pour câbles HVDC |
À noter : Le Nexans Electra dont nous vous avions parlé dans un autre article n’est pas encore en service mais devrait logiquement prendre la 5e place de ce classement quand il prendra son service.
Source : Communiqué de presse de



