Le pouvoir caché de la France sous les océans.
On les oublie car ils sont invisibles. Et pourtant, sans eux, plus de vidéos, plus de mails, plus de transactions bancaires. Ces lignes invisibles qui rampent au fond des océans transportent chaque jour le cœur battant du monde numérique. Et dans cette guerre silencieuse, la France tient la barre. Littéralement.
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La France est la première puissance mondiale de la pose de câbles sous-marins, un secteur sous tension en 2025
C’est comme un gigantesque réseau sanguin numérique qui relierait tous les continents et permettrait à la planète d’échanger : les câbles sous-marins !
Ils mesurent parfois plus de 10 000 kilomètres, font quelques centimètres de diamètre, et pourtant, ils transportent plus de 99 % du trafic Internet mondial. C’est bien simple : si demain ces câbles venaient à être sectionnés, votre appel en visio, votre transfert bancaire, votre film préféré… tout serait suspendu.
Pourquoi ne pas tout faire passer par satellite ? Parce que ces câbles sont bien plus rapides, bien moins chers, et nettement plus fiables. Un câble en fibre optique transporte les données à la vitesse de la lumière, ou presque, avec une latence ridiculement faible. Pour un satellite en orbite géostationnaire à 36 000 kilomètres, la musique change : les données mettent environ 600 millisecondes à faire l’aller-retour. Autant dire une éternité numérique.
La France en première ligne
Fait méconnu et qui va attiser votre fibre patriotique (sans mauvais jeu de mots) : la France est le leader mondial des navires câbliers.
Un tiers de la flotte mondiale de navires capables de poser ou de réparer ces câbles navigue sous pavillon français. Une suprématie discrète, mais bien réelle.
Trois grands noms se partagent ce marché hautement technique :
- Orange Marine, qui exploite une flotte de 6 navires spécialisés ;
- Louis Dreyfus Armateurs, opérateur historique du transport maritime ;
- Alcatel Submarine Networks (ASN), récemment passée sous contrôle public.
Le rôle d’ASN, en particulier, est à souligner. En étant nationalisée, l’entreprise est devenue un outil stratégique au service de la souveraineté numérique française. Une manière pour l’État de garder la main sur des infrastructures critiques. Et d’éviter que d’autres, plus pressés ou moins regardants, s’en emparent.
Une infrastructure vitale mais vulnérable
Un câble sous-marin, aussi performant soit-il, reste… un câble.
Environ 150 à 200 incidents sont signalés chaque année. Le coupable est souvent une ancre de navire ou un glissement de terrain sous-marin. Mais ces dernières années, une nouvelle forme de menace s’est invitée : le sabotage intentionnel.
En 2023, plusieurs câbles ont été sectionnés en mer Baltique, notamment entre la Finlande et l’Estonie. Aucune preuve formelle, mais des soupçons qui visent une puissance étrangère. Plus inquiétant encore : ces actes ne sont pas isolés. Ils s’inscrivent dans une stratégie de guerre hybride, mêlant opérations militaires discrètes et actions de déstabilisation.
Une prise de conscience européenne
Les ruptures de câbles en 2023 ont agi comme une décharge électrique dans les milieux de la cybersécurité et de la géopolitique. Le choc a été tel qu’en avril 2025, plusieurs opérateurs de câbles ont signé une tribune dans Libération. Leur message : “Protégez les câbles sous-marins européens !”
Le texte appelle à une coopération renforcée entre l’Union européenne, l’OTAN et le Royaume-Uni. Car aujourd’hui, la surveillance de ces artères numériques repose sur… pas grand-chose. Quelques radars, un peu de surveillance satellite, et beaucoup de bonne volonté.
Pas de stratégie coordonnée, pas de centre de commandement, pas de patrouilles systématiques. En clair : un vide.
Une Europe qui tâtonne
Face à ces signaux d’alerte, l’Union européenne commence à s’activer. Des idées émergent :
- Création d’un observatoire européen des infrastructures critiques ;
- Harmonisation des normes de sécurité sur les câbles ;
- Fonds dédié à leur modernisation et à leur protection.
Mais entre les promesses et les actes, un gouffre. Les pays avancent en ordre dispersé, chaque État défendant jalousement ses prérogatives. Le partage d’informations sensibles est compliqué, les budgets sont contraints, et les priorités politiques changent vite.
Résultat : malgré leur rôle vital, les câbles sous-marins restent des infrastructures peu protégées, gérées au gré des entreprises privées et de quelques États volontaires, dont la France.
Un enjeu stratégique mondial
Une certitude : les câbles vont encore gagner en importance dans les années à venir.
Avec l’explosion du cloud, de l’intelligence artificielle, des objets connectés, des cryptomonnaies et des métavers, les flux de données explosent. Les câbles deviennent des vecteurs de pouvoir géopolitique.
La Chine investit massivement dans ses propres routes numériques sous-marines. Les États-Unis veulent sécuriser leurs connexions. L’Afrique se dote de nouveaux corridors câblés. Et l’Europe, elle, doit choisir : rester spectatrice ou devenir architecte de son réseau.
Dans cette course discrète mais décisive, la France possède un atout inattendu : sa flotte de navires câbliers.
Sources :
- Camille Desruelles,”Les navires câbliers, niche stratégique française”, [en ligne] BARA think tank, 18 mai, 2025, “https://www.bara-think-tank.com/baratin/les-navires-cabliers-niche-strategique-francaise”
- “Câbles sous-marins”, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/cables-sous-marins
- Laurence Defranoux, “Guerre hybride : les opérateurs de câbles sous-marins appellent l’UE, l’Otan et le Royaume-Uni à s’unir pour protéger les infrastructures européennes”, 14 avril 2025, https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-hybride-les-operateurs-de-cables-sous-marins-appellent-lue-lotan-et-le-royaume-uni-a-sunir-pour-proteger-les-infrastructures-europeennes-20250414_OM3MVT53CNDFRHLWPBVNDWMRWM/
Image mise en avant : Le René Descartes, Navire câblier de la flotte Orange Marine.