Au bord du gouffre après le COVID, Aubert & Duval est aujourd’hui un pilier du réarmement français sans lequel on ne pourrait construire le moteur du Rafale

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L’histoire d’une vieille usine auvergnate devenue le fournisseur de titane des avions les plus avancés.

Loin de l’image triste d’usine géante jadis prospère dans l’Hexagone et aujourd’hui complètement abandonnées, il existe encore des entreprises françaises qui jouent un certain rôle dans la métallurgie. C’est le cas d’Aubert & Duval dont nous allons parler aujourd’hui. Née à Paris en 1907, l’entreprise a déjà une longue historique derrière elle. Spécialisée dans les aciers spéciaux, les superalliages et le titane, elle reprend des couleurs depuis quelques années après avoir senti le vent du boulet…

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Dès les années 1920, l’entreprise s’est lancée dans la fabrication d’aciers à hautes performances pour des pièces critiques. Au fil du temps, elle a racheté ou construit plusieurs sites industriels, Les Ancizes, Pamiers, Imphy – créant un maillage industriel dense, capable de concevoir, fondre, forger, traiter et usiner du métal sur mesure pour les applications les plus exigeantes.

Aujourd’hui, ses clients s’appellent Airbus, Boeing, Safran, ArianeGroup ou MBDA. Mais son parcours n’a rien d’un long fleuve tranquille.

L’atterrissage brutal d’une entreprise d’altitude

En 2020, rien ne va plus. L’aéronautique s’effondre sous l’effet du Covid-19. Les carnets de commandes se vident. Les prix de l’énergie et des métaux flambent. Aubert & Duval, déjà fragilisée par des années de sous-investissement, frôle la faillite.

Les pertes s’accumulent, les fournisseurs commencent à douter, les clients cherchent des alternatives. L’entreprise ne tient que grâce à des aides publiques et à des reports d’échéances.

Mais fin 2022, un scénario inattendu se dessine. Trois géants : Airbus, Safran et le fonds Tikehau Capital, décident de mettre la main à la poche. Montant non communiqué officiellement, mais estimé à plusieurs centaines de millions d’euros. Le deal est scellé début 2023, avec une clause particulière : l’État français conserve un droit de veto sur toute tentative de rachat étranger.

Quand l’alliage devient géopolitique

Pourquoi une telle mobilisation ? Parce que l’acier, le titane, les superalliages ne sont pas que des produits industriels. Ce sont des matières stratégiques, indispensables à l’autonomie industrielle.

Aubert & Duval produit par exemple les trains d’atterrissage de l’Airbus A350, les pièces forgées du moteur M88 du Rafale, ou encore des composants pour les lanceurs Ariane.

Et dans un monde où 90 % du titane est contrôlé par la Russie, la Chine et les États-Unis, il devient risqué de dépendre de l’étranger.

D’où un autre coup de maître en 2022 : le rachat par Aubert & Duval des parts kazakhes dans la société UKAD, productrice de billettes de titane à Saint-Georges-de-Mons. Une opération essentielle pour reprendre le contrôle de cette matière difficile à produire.

Recycler le titane : une prouesse européenne

L’autre joyau d’Aubert & Duval, c’est l’usine EcoTitanium, inaugurée en 2017. On y transforme des copeaux et des rebuts de titane issus de l’aéronautique en lingots de haute pureté. Une première européenne.

Jusqu’à 75 % du titane utilisé y est recyclé. Un chiffre qui permet de limiter l’empreinte carbone tout en réduisant la dépendance aux importations.

Et cela n’a rien d’un gadget écologique : le titane est extrêmement difficile à recycler, car il s’oxyde facilement et exige des procédés complexes. EcoTitanium utilise un procédé par électroslag refining, réservé aux matériaux de haute qualité.

Des chiffres qui pèsent lourd dans la balance

Le redressement ne s’est pas fait attendre. En 2024, Aubert & Duval affiche un chiffre d’affaires de 844 millions d’euros, contre environ 600 millions en 2020.

Les effectifs sont stables à 4 100 employés répartis sur 10 sites industriels. L’entreprise détient 320 brevets actifs, couvrant des procédés de forge, d’alliage, de traitement thermique, ou encore des applications spécifiques aux turbines d’avion.

Année Chiffre d’affaires (en millions €) Nombre d’employés Sites industriels Nombre de brevets
2020 600 4 300 10 280
2022 680 4 150 10 300
2024 844 4 100 10 320

 

Des pièces critiques pour des secteurs qui ne tolèrent pas l’erreur

Dans le moteur M88 du Rafale, certaines pièces doivent résister à des températures dépassant 1 500 °C, tout en maintenant une stabilité géométrique au micron près. Idem pour les turbines haute pression des moteurs LEAP ou les systèmes d’injection d’Ariane 6.

Les marges d’erreur sont ridiculement faibles. Une inclusion dans un lingot, un défaut de grain, et c’est tout un moteur qui peut être mis en péril. D’où l’extrême rigueur imposée aux alliages et aux traitements thermiques.

Ce sont ces exigences, combinées à l’expertise historique d’Aubert & Duval, qui permettent à l’entreprise de se positionner sur des marchés à très haute valeur ajoutée.

L’avenir entre hydrogène, décarbonation et recrutement

Reste que pour durer, il faut évoluer. Le plan industriel lancé depuis 2023 inclut plusieurs priorités : réduire l’empreinte carbone, améliorer le taux de recyclage, et intégrer les chaînes hydrogène pour les turbines du futur.

L’entreprise investit également dans la formation, avec un besoin estimé à 500 recrutements d’ici 2027, dont une majorité de profils techniques : ingénieurs matériaux, électrométallurgistes, pilotes de ligne de forge…

Elle a également rejoint des programmes européens pour anticiper les besoins en superalliages pour le spatial et les SMR (petits réacteurs modulaires).

Ce qu’on appelait autrefois une aciérie auvergnate est désormais un pilier de la souveraineté industrielle. Sans ses produits, des avions ne voleraient pas, des missiles ne seraient pas guidés, des moteurs ne tiendraient pas.

Et c’est peut-être ça, le plus impressionnant : faire tenir en l’air des machines à 100 millions d’euros… en partant d’un lingot bien forgé !

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La métallurgie conserve un poids important en France

Le secteur de la métallurgie reste un pilier de l’industrie française, représentant environ 8 % des emplois industriels avec plus de 250 000 salariés répartis dans 6 100 établissements. Il s’appuie sur des groupes majeurs comme ArcelorMittal, Aperam, Ugitech et Dillinger France, ainsi que sur un réseau de PME innovantes. La filière bénéficie d’une forte capacité de recherche et développement, notamment dans les aciers spéciaux et les alliages à haute valeur ajoutée (comme dans le cas présent Aubert & Duval).

Malgré des défis liés à la transition énergétique et à la fluctuation des prix des matières premières, le secteur reste dynamique et créateur d’emplois. Il jouera un rôle central dans la transition vers une industrie plus décarbonée et compétitive.

Source :

  • https://www.aubertduval.com
  • https://www.ancizes-comps.eu/les-acieries.php

Image : Intérieur d’une aciérie (Freepik)

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Guillaume AIGRON
Guillaume AIGRON
Très curieux et tourné vers l'économie, la science et les nouvelles technologies, (particulièrement ce qui touche à l'énergie et les entreprises françaises) je vous propose de de découvrir les dernières actualités autour de cette passion

1 COMMENTAIRE

  1. Merci pour cet article d’actualité qui me fait penser très fort à mon père aujourd’hui décédé qui a passé 20 ans entre 1975 et 1995 chez Creusot -Loire appelé ensuite Usinor pour commercialiser des aciers spéciaux dans le monde, en particulier ex-URSS: Russie et pays satellites d’Europe de l’est, Inde où je l’ai suivi en 1988 en tournée commerciale :New-Delhi, Hyderabad, Bangalore, Bombay.

    Quelle bonheur de voir que cette industrie stratégique de haute technologie perdure .

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