Incroyable découverte d’araignées de mer « alimentées au méthane » et découvertes dans les profondeurs marines

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Une équipe de recherche a mis en évidence un type de symbiose innovante entre trois espèces encore non décrites de kikutnices profondes (Sericosura) et des bactéries consommant du méthane. Ces animaux colonisent des sites d’émission de méthane sur les fonds marins du Pacifique Nord (Californie–Alaska), là où la lumière ne pénètre plus et où les formes de vie doivent développer des stratégies métaboliques alternatives.

Leur exosquelette, loin d’être une simple carapace, est recouvert d’un biofilm bactérien dense et structuré, composé principalement de bactéries des familles Methylomonadaceae, Methylophagaceae et Methylophilaceae. Ces groupes sont bien connus pour leur capacité à oxyder le méthane ou le méthanol, transformant ainsi des gaz à effet de serre en sources de carbone assimilables.

Ce qui frappe immédiatement, c’est la localisation très ciblée de ces associations. Les spécimens étudiés ont été retrouvés uniquement sur des suintements actifs, soulignant une sélectivité écologique précise. Cela pose la question d’un comportement de prospection ou d’une reconnaissance chimique de ces environnements par les larves ou les adultes.

Méthodes employées

Les chercheurs ont prélevé 36 spécimens en eaux profondes, grâce à un robot sous-marin (ROV) et au submersible Alvin. Une fois remontés à bord, les spécimens ont été incubés dans des conditions contrôlées avec du méthane enrichi en carbone 13 (¹³CH₄) ou du méthanol également marqué isotopiquement.

Les transferts de carbone ont ensuite été mesurés par spectrométrie de masse à échelle nanométrique (NanoSIMS). Cette technique permet d’observer, cellule par cellule, la distribution du carbone marqué. Résultat : le carbone issu du méthane était clairement intégré dans les tissus des kikutnices, atteignant jusqu’à 1,4 fois l’abondance naturelle de ¹³C.

Cela démontre un apport exogène actif de carbone via les bactéries épibiotiques.

Les chercheurs ont aussi utilisé la microscopie à fluorescence confocale pour visualiser l’agencement spatial du biofilm. Ils ont identifié une structuration en gradients d’épaisseur, potentiellement liée à la disponibilité en méthane. Cette observation suggère un contrôle de la croissance microbienne par l’hôte, comme une gestion microenvironnementale de la production.

Implication nutritionnelle

Les chercheurs ne se sont pas arrêtés à la trace isotopique. En utilisant la microscopie électronique à transmission, ils ont pu documenter la structure tridimensionnelle du biofilm bactérien, composé d’agrégats compacts incrustés dans une matrice d’exopolymères. Ces bactéries ne sont pas simplement présentes : elles forment une couche organisée, probablement entretenue par l’hôte.

Contrairement à d’autres animaux symbiotiques qui absorbent les métabolites bactériens par diffusion, les kikutnices, elles, grattent activement et consomment le biofilm avec leurs appendices buccaux. Il s’agit donc d’un mode de nutrition fondé sur la culture et la récolte bactérienne, très proche de l’agriculture microbienne observée chez certains crabes des sources hydrothermales.

C’est une forme d’exploitation nutritive autonome et spécialisée, adaptée aux conditions extrêmes du fond océanique.

Autre point remarquable : les bactéries présentes ne couvrent pas l’animal de manière aléatoire. Elles se concentrent sur les régions les plus accessibles à la bouche et aux pattes. Cela suggère un comportement de toilettage ou de réensemencement ciblé, voire un modelage comportemental de la biomasse bactérienne à des fins digestives.

Incroyable découverte d'araignées de mer « alimentées au méthane » et découvertes dans les profondeurs marines

Araignées de mer Sericosura examinées dans cette étude :
(A) Carte des sites de suintement au large du sud de la Californie.
(B) Carte du site de suintement de Sanak, situé au large des îles Aléoutiennes.
(C) Une femelle observée sur le site de Del Mar, montrant clairement des fémurs gonflés contenant des œufs (flèche).
(D) Un mâle du site de Sanak portant visiblement une couvée d’œufs (pointe de flèche).
(E) Un spécimen mâle discret de Sericosura marchant sur une roche carbonatée au site de Del Mar (la pointe de flèche indique également une couvée d’œufs).

(Échelles : A, 80 km ; B, 300 km ; C à E, 2 mm.)

Transmission et coévolution

Un point fascinant de l’étude concerne la transmission des bactéries entre générations. Les mâles de certaines espèces de Sericosura portent leurs œufs dans des sacs ventraux. Or, ces sacs sont également recouverts de biofilm bactérien.

Cela suggère que les parents assurent une transmission verticale partielle du microbiote à leur descendance. C’est un indice fort d’une coévolution stable, intégrée dans le cycle de vie de l’animal. La diversité réduite du microbiote entre individus, observée par séquençage de l’ADNr 16S, renforce cette hypothèse.

Un partenariat stable, héritée biologiquement, est plus qu’une simple association opportuniste : il révèle une interdépendance métabolique.

Il reste toutefois à confirmer si cette transmission est directe (par endosmose au sein des œufs) ou indirecte (par exposition environnementale des juvéniles à un biofilm parental). Les deux scénarios peuvent coexister, comme cela a été proposé chez d’autres invertébrés à symbiose fixée.

Conséquences pour l’écologie profonde

Cette forme de nutrition fondée sur la culture bactérienne méthanotrophe révèle un nouveau modèle trophique dans les environnements profonds. Alors que la plupart des organismes abyssaux sont prédateurs, détritivores ou symbiotes filtrants, les kikutnices semblent développer un comportement de culture active, analogue à un élevage microbien.

Cela constitue une source de carbone indépendante des réseaux trophiques photosynthétiques. Il s’agit d’une voie alternative fondée sur la chémosynthèse, avec un apport énergétique venant directement de l’oxydation du méthane. Cela renforce le rôle clé des bactéries dans les flux de matière en milieux extrêmes.

De plus, cette stratégie permettrait aux kikutnices de coloniser des habitats très localisés mais riches en exsudats méthaniques, là où d’autres espèces peinent à survivre.

La compréhension de ces interactions ouvre aussi des pistes sur la résilience de la vie dans des environnements extrêmes, voire sur la possibilité de systèmes analogues dans d’autres mondes océaniques (Europe, Encelade), où le méthane et l’absence de lumière sont les règles.

Perspectives techniques et recherches futures

  • Étudier le rendement énergétique de ce mode alimentaire par rapport à d’autres stratégies en milieu extrême.
  • Identifier les gènes clés des bactéries symbiotiques grâce à des analyses métagénomiques ciblées (enzymes méthane monooxygénase, voies de régulation du biofilm, etc.).
  • Tester l’hypothèse d’un mutualisme évolutif via des analyses phylogénomiques comparées entre hôtes et bactéries.
  • Explorer l’applicabilité industrielle : captation du méthane, bioconversion microbienne, biofilms exploitables pour le traitement de l’air ou des sols contaminés.
  • Comparer les stratégies de culture bactérienne dans différents taxons des zones de suintement et des sources hydrothermales.

Ce travail, en associant microscopie de pointe, traçabilité isotopique et biologie moléculaire, documente une innovation biologique profonde : la culture d’un microbiote méthanotrophe au sein d’une niche écologique extrême. Une démonstration élégante de la capacité de la vie à transformer un gaz à effet de serre en ressource métabolique partagée.

Cette étude pourrait bien redéfinir certaines lignes de la bioénergétique marine.

Source de cette étude : https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2501422122

Photo credits: C and E, Bianca Dal Bó; D, Greg Rouse (SIO).

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Eric GARLETTI
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