Les méthaniers carbureront bientôt à l’atome.
On croyait avoir tout vu dans le domaine des engins propulsés grâce au nucléaire : brise-glaces, sous-marins, porte-avions etc. On se trompait.
Le 9 septembre 2025, l’American Bureau of Shipping a donné son feu vert à un méthanier géant à propulsion nucléaire. Le transport maritime pourrait ainsi commencer une mue nucléaire et c’est plutôt une bonne nouvelle comme on va le voir dans cet article.
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Un réacteur liquide qui tient dans la coque
Au cœur du navire, un bijou technologique : un réacteur nucléaire à sels fondus de 100 mégawatts thermiques. Contrairement aux réacteurs classiques, celui-ci n’utilise pas de combustible solide. L’uranium est dilué dans un bain de sels liquides chauffés à plus de 600 degrés. Le liquide joue à la fois le rôle de combustible et de fluide caloporteur. Une soupe nucléaire, littéralement.
Un réacteur qui respire comme un moteur
Le MSR (molten salt reactor) est une vieille idée relancée par les nouveaux besoins. Dans les années 1960, les États-Unis avaient déjà testé ce principe, notamment pour l’aviation. Trop en avance sur son temps. Aujourd’hui, de nombreux pays (notamment la France et la Chine) s’y intéresse. La Corée du Sud présente quant à elle une version embarquée, avec une électronique moderne, des alliages résistants à la corrosion, une régulation fine.
Le combustible liquide circule dans un circuit fermé. Il dégage sa chaleur dans un échangeur, qui génère de la vapeur. Cette vapeur entraîne une turbine, comme dans n’importe quelle centrale. C’est une mini-centrale nucléaire en haute mer, mais sans les barres d’uranium ni les complications d’un EPR.
Pas de panache noir à la sortie de la cheminée
Pour rappel, le GIEC a estimé que le transport maritime international est responsable d’environ 2 à 3 % des émissions mondiales de CO₂ liées aux activités humaines.
La propulsion nucléaire de ce type n’émet pas un gramme de CO₂, pas de suies, pas de NOx, pas de soufre. Rien. Une cheminée propre. C’est un bond en avant pour la marine marchande, qui fonctionne encore majoritairement au fioul lourd, cette pâte noire plus épaisse que du goudron.
Quasiment aucun risque d’explosion en mer et aucun rechargement nécessaire
Comme nous avons vu, le réacteur nucléaire du navire serait un SMR (Small Modular Reactor) de génération IV utilisant la technologie des sels fondus. Sans rentrer inutilement dans les détails, ce genre de réacteur réduit les risques d’explosion à quasiment 0. Aucun Tchernobyl des mers en vue !
En outre, ce réacteur permet une exploitation continue pendant toute la vie du navire sans rechargement. En un mot comme en cent : zéro ravitaillement en combustible pendant 30 à 40 ans.
Des ingénieurs aux manettes depuis 2023
Derrière cette avancée, deux poids lourds sud-coréens : l’institut KAERI pour le nucléaire, et Samsung Heavy Industries pour le bateau. Leur collaboration a débuté en 2023, et le concept vient de recevoir un Approval in Principle, certificat indispensable délivré par l’ABS et l’État libérien, validant le design sur le plan réglementaire et sécuritaire.
Une première mondiale à Gastech Milan
Le navire n’est pas encore à quai, mais son concept a été dévoilé en grande pompe au salon Gastech 2025, à Milan. Le plus grand événement mondial du gaz et de l’énergie. Tout ce que compte la planète en armateurs, constructeurs, industriels du GNL y était.
Le message était clair : ce n’est pas une idée pour dans 30 ans, c’est un projet validé, qui peut être construit rapidement. KAERI vise la fin du design complet pour 2026.
D’autres projets nucléaires tout aussi fous… et pourtant bien réels
Ce méthanier à réacteur liquide n’est pas un cas isolé. Partout dans le monde, le nucléaire sort de ses centrales bétonnées pour embarquer là où on ne l’attend pas. En Russie, la centrale flottante Akademik Lomonosov produit déjà de l’électricité au large de l’Arctique. Deux réacteurs à bord, amarrés comme un paquebot. Sa mission : alimenter une ville minière isolée, là où tirer une ligne haute tension coûterait plus cher que le Titanic. En Chine, des réacteurs marins sont à l’étude pour équiper des plateformes offshore et des îles stratégiques. Aux États-Unis, le projet MMR (Micro Modular Reactor) de l’entreprise Ultra Safe Nuclear avance discrètement pour fournir de l’énergie à des bases isolées, y compris dans l’espace. Dans les cartons de la NASA, on trouve encore plus étrange : des réacteurs nucléaires pour propulser des missions martiennes, façon vaisseau Enterprise.
Le nucléaire, qu’on croyait condamné aux cathédrales de béton, s’invite maintenant sur les mers, dans les déserts, sous la glace… et bientôt au-delà de l’orbite terrestre.
Source : https://www.kaeri.re.kr/board/view?menuId=MENU00326&linkId=12638
Image : Schéma conceptuel d’un système de réacteur à sels fondus.