Un tunnel défie les séismes et le temps au cœur de Vancouver.
Sous le fleuve Fraser, une machine géante avance à pas lents mais sûrs. Elle ne cherche ni or, ni pétrole. Ce qu’elle veut, c’est creuser un avenir plus sûr pour l’eau potable de 2,5 millions de Canadiens. Le chantier ne fait pas énormément parler de lui pourtant, c’est l’un des plus importants projets d’infrastructure de l’histoire récente de la Colombie-Britannique.
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Un tuyau de 2,6 mètres pour une ambition titanesque à Vancouver
Le tunnel de l’Annacis Water Supply Tunnel reliera Surrey et New Westminster. Son diamètre intérieur atteindra 3,9 mètres, de quoi y faire passer confortablement un véhicule utilitaire. À l’intérieur, ce n’est pas un simple vide : un tuyau en acier de 2,6 mètres de diamètre sera installé pour transporter l’eau potable de la 3e plus grosse agglomération du Canada (2 642 825 en 2021). Tout a été pensé pour que cette infrastructure survive à un tremblement de terre de magnitude 9, le fameux “Big One” que redoute la Colombie-Britannique.
Anna, la foreuse infatigable
La star du projet s’appelle Anna. Cette machine de 4,7 mètres de diamètre avale la roche et la boue depuis début 2024. Elle travaille 20 heures par jour, six jours par semaine, avançant en moyenne de 15 mètres toutes les 24 heures. Sa progression n’est pas linéaire : elle ralentit ou accélère selon les sols rencontrés, qui vont des dépôts argileux laissés par les glaciers à des couches plus compactes.
Chaque jour, Anna perce le sol, et derrière elle, des anneaux de béton préfabriqués sont posés un à un pour maintenir le tunnel ouvert. Six segments composent un anneau, chacun pesant plus de 1,4 tonne. Quinze anneaux sont installés en moyenne chaque jour. Au total, il en faudra 1 800 pour tapisser l’intégralité de la galerie.
310 millions d’euros pour une galerie sous le fleuve
Le projet est porté par le groupement Traylor-Aecon, deux géants canadiens du BTP. Le prix est à la hauteur des ambitions : 450 millions de dollars canadiens, soit environ 310 millions d’euros. Ce n’est qu’un maillon d’un plan de cinq traversées stratégiques, jugées prioritaires après une évaluation des risques sismiques du réseau hydraulique de la métropole.
Les équipes comptent jusqu’à 120 travailleurs sur site, dans un ballet millimétré : il faut construire les puits d’accès, stabiliser le sol, contrôler la pression, assembler les anneaux du tunnel, surveiller Anna et son humeur mécanique.
Chaque matin, une partie de cette équipe descend par un puits vertical de 15 mètres de diamètre du côté de Surrey, à 50 mètres de profondeur. De l’autre côté, à New Westminster, le puits fait 60 mètres de profondeur mais seulement 9 mètres de diamètre, coincé entre des immeubles et les lignes du SkyTrain. Les ouvriers rejoignent la tête de forage à bord de petits trains souterrains, comme dans une mine.
Une technique sous haute pression
Creuser sous un fleuve n’est jamais une partie de plaisir. Le poids du sol, la pression de l’eau et la proximité des infrastructures urbaines rendent la tâche périlleuse. Pour éviter tout effondrement, les ingénieurs utilisent la méthode Earth Pressure Balance. Le principe est astucieux : réinjecter le matériau excavé contre la paroi pour maintenir l’équilibre des pressions et stabiliser l’avancée du tunnelier.
En parallèle, des stations géotechniques en surface surveillent en permanence le terrain au-dessus du chantier. Chaque vibration, chaque micro-mouvement est enregistré pour s’assurer que ni les immeubles ni les voies ferrées voisines ne subissent d’impact.
Une machine avalée… puis recrachée
Anna n’est pas destinée à rester prisonnière du sol. Une fois la galerie achevée, prévue en 2027, la machine sera démontée et extraite. Commencera alors une nouvelle phase : l’installation du gigantesque tuyau en acier à l’intérieur du tunnel. Ce travail prendra environ un an.
Ensuite, des chambres de vannes souterraines seront construites près de chaque puits pour raccorder la nouvelle conduite au système régional. Ce sont des ouvrages aussi massifs que complexes, dont la construction demandera encore deux années supplémentaires. La mise en service complète est attendue pour 2028.
L’ingénierie de l’ombre, au service de la vie
Dans quelques années, personne ne se souviendra d’Anna, de ses 15 mètres par jour, ni des centaines de techniciens qui auront veillé à ce que tout tienne sous pression. Pourtant, en cas de secousse, ce sont eux qui auront empêché une rupture d’alimentation pour deux millions et demi de personnes.
Il existe des chantiers si importants que leur plus grande vocation est qu’on ne se souvienne justement d’eux, le tunnel de l’Annacis Water Supply est de ceux-là.
Sources :
- https://metrovancouver.org/media-room/media-release/696
- https://canada.constructconnect.com/joc/news/infrastructure/2025/04/beneath-the-surface-a-look-inside-the-450m-annacis-water-supply-tunnel-project