Sous la glace de l’Arctique, la Chine plonge avec équipage et robots.
C’est officiel : la Chine vient de réaliser sa toute première plongée habitée dans les eaux profondes de l’Arctique. En coordination avec un véhicule sous-marin téléopéré, elle a pu plonger dans les abysses et en ramener pas moins de 183 créatures dans des tubes glacés. Un exploit scientifique, technologique et logistique sans précédent pour l’Empire du Milieu.
Cette mission marque aussi la première coopération homme–machine réussie en plongée polaire, à plus de 77 degrés de latitude nord.
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Une expédition record dans l’Arctique central
Depuis juillet 2025, la plus grande flotte scientifique jamais envoyée par la Chine vers l’Arctique quittait le port de Qingdao. À son bord :
- Xue Long 2, brise-glace nouvelle génération
- Jidi, navire d’assistance polaire
- Tansuo 3, plateforme d’observation
- Et surtout, le navire Shenhai 1, porteur du célèbre sous-marin habité Jiaolong, fraîchement modernisé.
Direction : les eaux glacées de l’Arctique central, jusqu’au 77,5e parallèle nord, au cœur d’un océan encore largement inexploré. L’objectif : collecter des données sur l’hydrologie, la biodiversité, les glaces de mer, la chimie de l’eau, et les écosystèmes des grandes profondeurs.
La mission s’est achevée le 26 septembre, avec le retour à Shanghai de 100 chercheurs. Entre-temps, une page de l’histoire de l’exploration polaire s’est été écrite sous la banquise.
Jiaolong, pionnier sous la glace
Le Jiaolong, célèbre pour avoir déjà exploré les fosses les plus profondes de la planète, a été renforcé pour affronter les conditions polaires : températures extrêmes, eau salée proche du point de congélation, instabilité magnétique. Pour la première fois, l’équipage a également modifié ses méthodes : plutôt qu’une simple plongée isolée, Jiaolong a effectué une opération coordonnée avec un robot sous-marin.
L’idée ? Faire dialoguer un équipage humain avec une machine autonome, à plusieurs centaines de mètres sous la glace. Le défi était considérable : communication, positionnement, mouvements synchronisés… Tout a été repensé.
Selon Fu Wentao, pilote en chef du Jiaolong, c’est un pas important vers des opérations mixtes plus complexes dans les futures missions de recherche en eaux profondes.

183 spécimens venus des abysses glacés
Pendant plus de dix plongées, l’équipe a prélevé des échantillons à des profondeurs extrêmes. 183 spécimens biologiques ont été remontés :
- crevettes abyssales
- araignées de mer
- anémones aux tentacules translucides
À cela s’ajoutent des sédiments, des roches et de l’eau de mer, analysés sur place puis envoyés vers les laboratoires du National Deep Sea Centre à Qingdao.
Les scientifiques notent que la qualité des échantillons est nettement supérieure à celle obtenue par chalutage, une méthode plus invasive. Les organismes sont remontés intacts, dans leur milieu, ce qui permet une identification morphologique bien plus précise.
Une recherche dopée par l’intelligence artificielle
Au-delà des prélèvements, les chercheurs chinois ont utilisé de nouveaux outils pour affiner l’analyse :
- ADN environnemental, pour détecter la présence d’organismes à partir de traces génétiques dans l’eau
- Algorithmes d’IA, pour trier, classer, comparer les formes de vie prélevées
Le tout vise à cartographier avec précision la biodiversité du fond de l’océan Arctique, une zone encore largement vierge d’observation. C’est aussi une première mondiale dans ce type d’environnement.

Des machines et des hommes sous la glace
L’un des moments les plus spectaculaires de l’expédition : le moment où le Jiaolong et le robot ROV (en anglais Remotely Operated Vehicles pour véhicule opéré à distance chez nous) se sont filmés mutuellement sous l’eau. Pour les chercheurs, cette interaction permettra de valider la précision des capteurs, d’optimiser les trajectoires, et d’entraîner les algorithmes de navigation collaborative.
Ce type de coopération robot-humain préfigure les futures missions autonomes en milieux extrêmes, qu’il s’agisse des abysses… ou d’autres planètes.
L’Arctique, théâtre d’un changement mondial
Au-delà de la prouesse technique, cette expédition s’inscrit dans un contexte scientifique plus large. L’Arctique fond, change, et se transforme sous l’effet du réchauffement global. Comprendre ses fonds marins, ses flux chimiques, ses espèces endémiques, c’est aussi anticiper les bouleversements planétaires à venir.
Grâce à cette mission, la Chine s’impose comme un acteur majeur de la recherche en milieu polaire, en combinant haute technologie, exploration habitée et robotique de pointe.
Sources :
- Bojan Stojkovski, MIT Technology Review / Octobre 2025
- South China Morning Post
- CCTV / National Deep Sea Center
- Ministère chinois des Ressources naturelles