L’Arctique est-il toxique pour lui-même ? Chaque nouvelle fonte estivale libère de plus en plus cet élément aux effets dévastateurs pour l‘écosystème local

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Quand les glaciers fondent, les algues trinquent en Arctique.

Chaque été dans l’Arctique, c’est un peu la fête à la fonte. Glaciers, neige, permafrost : tout y passe, sous l’effet d’un réchauffement deux à trois fois plus rapide que dans le reste du monde. Et toute cette eau douce ne reste pas bien sagement à la montagne.

Elle file vers les côtes, charriant des sédiments, diluant la salinité des fjords, perturbant la lumière sous-marine… Bref, c’est un cocktail chimique qui déborde dans l’océan, et il ne fait pas bon y être une algue, encore moins une algue brune.

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Les kelps, ces grandes algues brunes qui forment de véritables forêts sous-marines, ne payent pas de mine, mais ce sont des piliers de la biodiversité arctique. Elles abritent, nourrissent et protègent poissons, invertébrés et autres mollusques, un peu comme une HLM végétale flottante.

Leur rôle écologique est comparable à celui d’un chêne dans une forêt : elles fixent le carbone, ralentissent l’érosion côtière, et servent même d’indicateurs de santé marine.

Alors forcément, quand leur environnement change, c’est tout un écosystème qui vacille.

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Le mercure ne tombe plus du ciel, il ruisselle

Une équipe internationale de chercheurs a plongé dans les fjords du Groenland et de Norvège pour comprendre ce que ces torrents d’eau douce changeaient à la vie des kelps. Ils ont relevé une hausse nette de la contamination chimique dans les zones les plus exposées aux eaux de fonte.

Et ce n’est pas anodin : jusqu’à 72 % de mercure en plus dans certaines algues, comparées à leurs cousines situées dans des zones non touchées par ces ruissellements.

Or le mercure, contrairement au chocolat, ne se bonifie pas en remontant la chaîne alimentaire. Les herbivores marins qui grignotent les kelps s’en imprègnent, les carnivores qui les mangent aussi, et à la fin du film… l’homme se retrouve en bout de chaîne.

Salinité en baisse, lumière tamisée, croissance freinée

L’autre grand chambardement, c’est l’environnement immédiat des kelps. Ces algues ont besoin d’eau salée et de lumière pour bien pousser. Or, l’arrivée massive d’eau douce dilue le sel des fjords et rend l’eau plus trouble à cause des sédiments.

Résultat : la croissance des kelps ralentit dans les zones proches des glaciers. Ce qui inquiète les scientifiques, c’est que ces conditions pourraient devenir la norme dans une grande partie de l’Arctique d’ici quelques décennies.

La Norvège, l’Islande ou le Canada pourraient voir une chute significative des kelps, avec des impacts économiques (pêche, aquaculture, carbone bleu) encore peu évalués.

Les microbes des kelps au régime forcé

On connaît mal l’univers microbien des algues, mais il est là, bien présent, sur chaque centimètre de fronde. C’est leur microbiome, un ensemble de bactéries, levures et champignons qui collaborent à leur bonne santé : nutrition, croissance, immunité.

Or, les chercheurs ont mis en évidence que les eaux de fonte déséquilibrent totalement ce microbiome. Certaines espèces utiles disparaissent, d’autres moins amicales prolifèrent. Et comme chez les humains, un microbiome déréglé, c’est souvent une porte ouverte aux maladies.

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Une alerte écologique silencieuse… mais bien réelle

Les kelps n’émettent pas de cris, ni de signaux lumineux. Pourtant, ils souffrent déjà du dérèglement climatique. Et leur dépérissement pourrait entraîner celui de toute une chaîne alimentaire. Ours polaires, phoques et poissons ne vivent pas seulement sur la banquise : ils dépendent aussi de ces grandes algues qu’ils ne voient même pas.

Les projets scientifiques européens comme FACE-IT, ECOTIP ou SEA-Quester le montrent : la fonte des glaces a des répercussions invisibles mais majeures, loin des clichés touristiques.

Alors que les températures arctiques poursuivent leur envol, les kelps deviennent les premières sentinelles d’un basculement écologique sous-marin. Et si l’on n’y prend garde, elles pourraient aussi être les premières victimes.

Source de l’étude :

Niedzwiedz, S., Schmidt, C., Yang, Y. et al. Run-off impacts on Arctic kelp holobionts have strong implications on ecosystem functioning and bioeconomy. Sci Rep 14, 30506 (2024). https://doi.org/10.1038/s41598-024-82287-w

Image : Tir vertical d’un ciel rouge le matin un jour de neige (Freepik)

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Eric GARLETTI
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